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Ahmed Charai : Pas de retour du printemps arabe ni en Algérie ni au Maroc

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« Le printemps arabe est de retour ». Une affirmation qu’on entend de plus en plus ces dernières semaines. Les destitutions spectaculaires et hypermédiatisées d’Omar el-Béchir au Soudan et de Abdelaziz Bouteflika en Algérie, la recrudescence des mouvements sociaux au Maroc et en Jordanie, l’instabilité politique en Tunisie et la fébrilité des régimes des pétromonarchies, autant d’événements qui dénotent d’une forte agitation des sociétés arabes sous l’effet d’une crise sociale chronique et d’une libération de la parole et de l’action collective héritée des évènements de 2011. Cependant les huit années qui nous séparent de la mort de Bouazizi, ont donné lieu à un monde nouveau, plus instable et plus dangereux. Les populations ne sont plus dupes, les révolutions à l’eau de jasmin cachent souvent des enjeux géopolitiques planétaires. Les guerres civiles qui déchirent encore la Syrie, le Yémen et la Libye, le retour au pouvoir de l’appareil militaire, encore plus brutal, en Egypte et la révélation au grand jour du mauvais rôle de l’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis dans l’escalade des tensions dans la région, sont autant de facteurs qui mettent en doute ce qualificatif du « printemps arabe 2.0».

Afin d’apporter au lectorat international du célèbre et influent magazine de réflexion basé à Washington, spécialisé en politique étrangère, « The National Interest », des clés de lecture de la situation en Afrique du nord, Ahmed Charai, dans une analyse parue dans l’édition du 7 mai, fait un zoom sur les deux grands pays de la région, le Maroc et l’Algérie. En se basant sur la genèse du pouvoir algérien et l’observation des événements clés qui ont donné lieu à la «révolution» en cours à Alger, l’éditorialiste est catégorique : il n’y aura pas de retour du printemps arabe ni en Algérie ni au Maroc. Toutefois, Ahmed Charai estime que la vraie menace sur la région et sur l’Europe reste le conflit territorial entre le Maroc et l’Algérie sur le Sahara occidental, une aubaine pour les groupes terroristes qui se multiplient au Sahel.

Ahmed Charai va d’emblée planter le décor : « Le soulèvement à Alger a de l’importance pour ses voisins, mais cela ne signifie pas pour autant que le pays déclencherait une révolution régionale. Ces manifestations impressionnantes à Alger et celles de Rabat plus modestes, ont amené certains observateurs étrangers à conclure qu’un nouveau «Printemps arabe» allait bientôt renverser les gouvernements algérien et marocain. Mais la réalité est tout autre. »

Dans les faits, l’Algérie et le Maroc sont plus différents que ne laissent paraître certaines similitudes qui servent de raccourcis pour apporter des jugements hâtifs sur la région à savoir que les deux pays ont été sous la direction coloniale française et pratiquent un islam «soufi» ou «modéré». En effet, explique l’éditorialiste de The National Interest, ces nations voisines ont fait des choix politiques très différents depuis leurs indépendance, il y a cinquante ans, et ont réagi de manière tout à fait différente à la double crise des troubles urbains et ruraux.

Le peuple algérien, meurtri, veut être gouverné par des civils démocratiquement élus

Ahmed Charai revient à la genèse du pouvoir algérien pour mettre en évidence les points de similitudes entres la révolution actuelle en Algérie et la première révolution des années soixante. Les leaders révolutionnaires de l’époque, Ramdane Abane, Krim Belkacem et beaucoup d’autres issues de l’Algérie profonde avaient pour objectif d’obtenir le contrôle civil de l’armée et de mettre l’accent sur la lutte contre la pauvreté rurale en matière d’affaires étrangères. Mais une fois les Français ont décidé de quitter le pays en 1962, l’armée s’est empressée à prendre le pouvoir au nom des tribus urbaines et côtières. D’ailleurs, la nomination du premier dirigeant de l’Algérie libre, Ahmed Ben Bella, était l’oeuvre de Houari Boumediene et Abdelaziz Bouteflika, qui agissaient au nom de l’Armée des frontières.

L’éditorialiste va ainsi démontrer que la structure du pouvoir qui s’écroule en Algérie, porte en elle l’explication de la révolution actuelle, car en faisant un holdup sur la volonté populaire après les accords d’Évian en 1962, Bouteflika et ses amis en paient le prix en 2019. D’ailleurs, les manifestants d’aujourd’hui le proclament clairement dans leurs slogans et leurs discours: « ils veulent être gouvernés par des civils démocratiques élus et par le retour à la vision révolutionnaire originale axée sur l’emploi et le développement » poursuit Ahmed Charai.

Fin de la rente gazière, corruption et népotisme, chute du mur de la peur et les séquelles de la guerre civile des années 90, un cocktail explosif

Pendant longtemps, l’Algérie a pu financer la paix sociale en vendant du gaz naturel à l’Europe (en devenant l’un des trois principaux fournisseurs) et en utilisant ces fonds pour subventionner des biens de consommation, principalement du carburant et des produits alimentaires. Avec l’effondrement des prix des hydrocarbures durant les années 1980, l’Algérie a été obligée d’ouvrir son paysage politique aux partis indépendants de la clique au pouvoir. La victoire des islamistes du Front islamique du salut (FIS), aux législatives de 1992, va pousser l’armée à mettre fin au décompte des voix, déclenchant une guerre civile de dix ans qui a coûté la vie à environ 150 000 personnes, rappelle The National Interest. En réalité, poursuit Ahmed Charai, la junte au pouvoir se retrouvait face à un dilemme sans issue : Embrasser la démocratie et permettre à des radicaux à l’iranienne de s’emparer du pouvoir ou d’annuler des élections pour mener une guerre civile féroce meurtrière. La guerre civile a divisé le pays et laissé peu de personnes réellement favorables à l’armée, affirme l’éditorialiste. Lorsque le «printemps arabe» a secoué les nations voisines, l’Algérie n’a pratiquement pas été touchée en raison de la répression massive et du souvenir encore vif de la volonté de l’armée de mener une guerre brutale contre les civils.

En 2019, ce mur de peur est enfin tombé. Finalement, le désespoir à court terme surmonte les craintes de punition ou de mort à long terme, affirme Ahmed Charai.

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Au sujet de Bouteflika, l’éditorialiste précise que d’aucuns ne doutaient du fait que le président limogé, malade et à moitié paralysé, n’était qu’un masque pour une clique qui puise son soutien principalement dans la capitale algérienne et dans une poignée de villes balnéaires.

Outre le cinquième mandat de Abdelaziz Bouteflika qui a été l’élément déclencheur des manifestations en Algérie, c’est la situation économique de quasi-faillite du pays qui constitue le moteur des rassemblements hebdomadaires. Selon Ahmed Charai, l’Algérie a utilisé la privatisation comme couverture pour créer une économie cartelisée ressemblant à une mafia. Les décideurs du régime ont exigé d’emblée des pots-de-vin massifs pour permettre des transactions commerciales ordinaires. Pour donner un exemple des proportions qu’a atteint cette bulle, Charai révèle que le dernier premier ministre de Bouteflika, Ahmed Ouyahia, a remboursé 75 millions de dollars de dettes bancaires en un seul versement effectué par un homme d’affaires.

Aujourd’hui, des millions d’Algériens exigent la fin du copinage, du népotisme et de la corruption. Ils ont constaté que les pays du nord de la Méditerranée avaient beaucoup moins de corruption et beaucoup plus de richesses, et que les bénéfices du développement étaient partagés de manière beaucoup plus équitable. Ce qui est possible en France, en Espagne et en Italie devrait, selon eux, être possible en Algérie, affirme Ahmed Charai.

Maroc, Algérie : des différences fondamentales mais un rempart commun contre le terrorisme

Il est clair que les événements en Algérie ont une incidence sur toute la région. Mais ceux qui s’inquiètent de la propagation de la contagion au Maroc ne considèrent pas les nombreuses différences de trajectoire, explique l’éditorialiste.

Contrairement à l’Algérie, le Maroc qui a connu de grandes manifestations en 2011, qui exigeaient des réformes, mais pas le changement du régime, a répondu favorablement en élaborant une nouvelle constitution et en organisant des élections qui ont amené les islamistes au pouvoir dans un gouvernement de coalition. Selon Ahmed Charai, l’expérience marocaine a réussi, parce que le Maroc avait entamé toute une série de réforme dès l’intronisation du roi Mohammed VI.

Deuxièmement, la légitimité du roi marocain n’est pas contestée, affirme l’éditorialiste de The National Interest. La monarchie est vieille de plusieurs siècles et remonte au prophète Mohammed. Le roi s’intéresse manifestement à la résolution des problèmes sociaux et à la détresse des pauvres. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de protestation sociale, nuance Ahmed Charai, le manque d’eau et des services publics, la justice sociale, l’équité territoriale, sont des demandes fréquentes des manifestants. Mais cela n’a rien à voir avec la situation algérienne, qui met en cause la légitimité du FLN au pouvoir.

Par ailleurs, Charai revient sur le rôle géopolitique fondamentale que joue les deux pays. «Ensemble, l’Algérie et le Maroc sont essentiels pour lutter contre le terrorisme, qui émerge dans leurs contrées rurales et tue souvent dans les capitales européennes. Sans services de renseignements efficaces, infrastructures militaires et de police en Afrique du Nord, moins d’attaques seraient contrecarrées, moins de terroristes arrêtés et plus de cœurs et d’esprits seraient attirés par des voix radicales» averti Ahmed Charai.

Après cet radioscopie de la situation algérienne et son impact sur le Maroc, l’analyse va converger vers un élément important qui façonne l’environnement de ces deux pays : la question du «Sahara occidental».

Ahmed Charai, va s’adresser à l’administration américaine, pour lui demander de soutenir une solution politique qui va mettre fin aux revendications territoriales, dans les provinces du sud du Maroc. Dans ce contexte tendu, l’Algérie doit cesser de financer des mouvements séparatistes sur les terres contestées depuis les années 1970 et d’abriter une dictature à parti unique de rebelles près de son avant-poste de Tindouf dans le désert.

Une solution politique qui permettra aux rebelles d’être amnistié au Maroc et favorisera la croissance économique à travers toute Sahara.

Si nous ne faisons rien, les turbulences du Sahel atteindront le monde occidental, conclut Ahmed Charai.


M. Ahmed Charai est éditorialiste et éditeur de presse, Administrateur de Plusieurs Think tank à Washington – Membre du Conseil d’Administration du “Center for Strategic and International Studies” à Washington, – – Membre du Directoire de l’ONG “Search for Common Ground” à Washington, – Membre du Conseil du Directoire de ” The Atlantic Council of United States” à Washington – Membre du Conseil Editorial Consultatif de “The National Interest’s Magazine” à Washington. – Membre du Conseil d’Administration du “The Foreign Policy Research Institute” à Philadelphia– Membre du Conseil d’Administration du International Crisis Group. Mr Charai est aussi membre du conseil Consultatif de Gatestone Institute à New York. Mr Charai, s’exprime souvent dans de grands journaux et médias américains dont le Wall Street Journal, New York Times, Le Monde, Fox News, National Interest Magazine, Huffington Post.

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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