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INSS : Quelles sont les implications du rapprochement entre Téhéran et Riyad pour Israël et la région ?

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L’annonce par l’Iran et l’Arabie saoudite de la reprise de leurs relations diplomatiques, après sept années de guerre par procuration au Yémen et d’hostilité diplomatique et stratégique, a surpris beaucoup de monde. Et pour cause, les négociations ont été menées dans une grande discrétion et sous la médiation d’une tierce partie surprenante : la Chine.

L’Institut national d’études sécuritaires (INSS) de Tel Aviv, vient de publier ce mardi une étude stratégique sur les implications du rapprochement entre Téhéran et Riyad pour Israël et la région ainsi que sur les chances de l’adhésion de l’Arabie saoudite aux accords d’Abraham. Ci-après la traduction intégrale de l’étude.

Dans une annonce surprenante, l’Iran et l’Arabie saoudite ont annoncé une reprise des relations (rompues en 2016) et un retour des ambassadeurs, qui aura lieu dans deux mois au plus tard. L’annonce a surpris tant par son timing que par l’identité du médiateur – la Chine. Elle reflète l’implication croissante de Pékin dans le Golfe et renforce sa position vis-à-vis des États-Unis dans la région.

Si l’administration américaine se félicite de la baisse des tensions dans le Golfe et cherche à poursuivre les efforts pour relancer les négociations en vue d’un retour à l’accord nucléaire, elle considère l’intervention de la Chine comme une dynamique défavorable.

Le principal test pour les relations irano-saoudiennes sera la poursuite de la trêve au Yémen, mais l’hostilité sous-jacente entre les pays ne disparaîtra pas pour autant. Dans le même temps, cette évolution peut être considérée comme un coup porté aux efforts visant à créer un camp anti-iranien dans la région. Toutefois, le renouvellement des relations en soi n’est pas un obstacle à une normalisation future entre l’Arabie saoudite et Israël.

Les considérations de Riyad à ce sujet sont larges et touchent à des questions profondes concernant les relations avec Washington, les développements dans l’arène palestinienne et le statut de l’Arabie saoudite en tant que protecteur des lieux saints de l’Islam.

Cette évolution peut être considérée comme un coup porté aux efforts visant à créer un camp anti-iranien dans la région.

INSS – 14 mars 2023

Le vendredi 10 mars 2023, l’Iran et l’Arabie saoudite ont annoncé la reprise des relations et le retour des ambassadeurs à Riyad et à Téhéran, qui aura lieu au plus tard dans deux mois. L’annonce était inattendue quant au calendrier et à l’identité du médiateur : La Chine. Dans le cadre des engagements qu’ils ont pris, Riyad et Téhéran ont accepté d’honorer les accords précédents, d’éviter toute ingérence dans les affaires intérieures de l’autre et d’engager des négociations approfondies sur toutes les questions bilatérales et régionales, en mettant l’accent sur la sécurité et la stabilité dans la région.

Historique du conflit Irano-saoudien

Les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran ont été rompues en 2016 après l’exécution en Arabie saoudite d’un religieux chiite de haut rang, Nimr al-Nimr, qui était l’un des critiques les plus virulents de la famille royale saoudienne. Cette exécution a entraîné une attaque générale de l’opinion publique iranienne contre les missions diplomatiques saoudiennes, sous les auspices du régime selon certains, ainsi qu’une rupture des relations.

Le conflit entre les deux pays a culminé en septembre 2019 avec une attaque iranienne majeure contre les installations d’Aramco en Arabie saoudite à l’aide de drones et de missiles de croisière. Cette attaque, qui a temporairement mis hors service environ la moitié de la capacité de production de pétrole de l’Arabie saoudite, a été une étape déterminante pour Riyad en termes de prise de conscience de sa vulnérabilité face à l’Iran et surtout compte tenu de ce que Riyad a perçu comme une “négligence” de la part de l’administration Trump, qui ne lui a pas fourni d’assistance militaire.

Tout cela a permis à l’Arabie saoudite de mieux comprendre la nécessité de diversifier ses piliers de soutien au niveau mondial et de couvrir les risques au niveau régional.

Processus de normalisation des relations irano-saoudiennes

Au cours des deux dernières années, Téhéran et Riyad se sont engagés dans plusieurs cycles de négociations, avec la médiation de l’Irak et d’Oman, pour tenter de rétablir des relations diplomatiques.

L’intérêt de l’Iran est centré sur le désir de mettre en œuvre la politique du régime, annoncée par le président Ebrahim Raisi, d’améliorer et de resserrer les relations avec les voisins et, dans le cadre d’une politique plus large, de réduire l’influence des États-Unis dans la région et de diminuer l’isolement de Téhéran dans la région.

Pour sa part, l’intérêt principal de l’Arabie saoudite était lié à la fois au désir de mettre fin à la guerre contre les Houthis soutenus par l’Iran au Yémen, et aux frappes directes qu’elle a subies, par exemple l’attaque contre les installations d’Aramco.

Les contacts entre les deux pays ont connu des hauts et des bas, une crise majeure ayant éclaté à la fin de l’année 2022 en raison de l’agitation sociale en Iran et des accusations de Téhéran à l’encontre de l’Arabie saoudite selon lesquelles ses médias incitaient les citoyens iraniens.

De hauts responsables iraniens, dont le ministre du Renseignement, ont ouvertement menacé l’Arabie saoudite et, sur la base d’informations explicites concernant la possibilité d’endommager le territoire du royaume, les États-Unis ont rapproché leurs navires de guerre et ont apparemment envoyé des avertissements à Téhéran. Les autorités britanniques, après avoir reçu de nombreuses mises en garde contre les risques encourus par les journalistes, ont été contraintes d’admettre qu’elles ne pouvaient pas garantir la sécurité des correspondants de la chaîne «Iran International», financée par Riyad, et la chaîne a dû quitter Londres pour s’installer aux États-Unis.

Rôle de la Chine

La Chine a été l’élément inattendu qui a permis de combler le fossé entre les deux pays et a fait en sorte que les discussions à Pékin avec les hauts fonctionnaires des deux pays aboutissent à un accord et à une déclaration commune.

Cet intérêt reflète la dépendance accrue de la Chine à l’égard du pétrole iranien et saoudien

INSS – 14 mars 2023

Cette évolution fait suite à l’importante visite du président chinois Xi Jinping en Arabie saoudite et au sommet qu’il a tenu avec les chefs des pays du CCG, ainsi qu’à la visite du président iranien Ebrahim Raisi en Chine.

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Dans l’après-midi du 7 décembre 2022, le président Xi Jinping est arrivé à Riyad à bord d’un avion spécial pour assister au premier sommet Chine-États arabes et au sommet Chine-CCG.

Cette dernière visait principalement à garantir qu’il n’y ait pas d’érosion des relations bilatérales, après ce qui a été perçu à Téhéran comme des déclarations contraires aux intérêts de l’Iran de la part du président Xi. Il s’agit sans aucun doute d’une réussite diplomatique importante pour la Chine, qui cherche à renforcer son influence des deux côtés du Golfe – en Iran et dans les États arabes de la région.

Cet intérêt reflète la dépendance accrue de la Chine à l’égard du pétrole iranien et saoudien et la nécessité d’améliorer les relations entre ces deux pays dans le cadre d’une stratégie plus large visant à maintenir la stabilité régionale.

La réussite de la Chine marque également son intérêt accru pour le Golfe, notamment en ce qui concerne le rapprochement entre les pays faucons dans une région pleine de tensions, et, à ce titre, renforce également sa position – ou du moins son image – par rapport aux États-Unis, qui ont été pendant de nombreuses décennies un allié inébranlable des pays du Golfe.

Position de Washington entre désescalade et suspicion

Officiellement, Washington s’est félicitée de la reprise des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran, le porte-parole du Conseil national de sécurité ayant même déclaré que Riyad avait informé l’administration des pourparlers en vue de renouer les relations.

La reprise même des relations Téhéran-Riyad est dans l’intérêt de l’administration américaine, qui attache une grande importance à la réduction des tensions dans le Golfe et cherche à poursuivre les efforts pour reprendre les négociations en vue d’un retour à un accord nucléaire.

Les intérêts américains sont certainement servis si l’accord conduit à la prolongation du cessez-le-feu au Yémen et peut-être même à des accords plus larges, comme l’espèrent les Saoudiens – même si l’implication de la Chine et ses réalisations diplomatiques ne sont pas favorables à Washington, qui surveille les actions de la Chine visant à creuser un fossé et à tirer profit des différends existants entre Washington et Riyad.

Tensions entre MBS et Biden

Ces différends se sont poursuivis après la déception causée par l’absence de réaction après l’attaque de l’Iran contre les installations d’Aramco et se sont poursuivis depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Biden, ainsi que depuis la visite du président américain à Riyad.

L’initiative soutenue par la Chine est la dernière d’une série de mesures saoudiennes qui ont commencé, en accord avec la Russie et contre la demande explicite du président Biden, par des réductions de la production de pétrole.

Ces mesures s’ajoutent aux demandes explicites de Riyad, publiées récemment dans le Wall Street Journal, concernant des garanties de sécurité et des armes de pointe (et il n’est pas certain que l’administration soit prête à donner suite à ces demandes), ainsi qu’à l’investissement majeur de la Chine dans la création d’une nouvelle ville, Neom, promue par le prince héritier Mohammed Ben Salmane ( MBS ).

La référence du responsable de la Maison Blanche selon laquelle Washington continue de surveiller les tentatives de la Chine de gagner en influence et en pouvoir dans le monde tout en réagissant au rapprochement négocié par la Chine reflète le point de vue des États-Unis sur ce qui est perçu comme une tentative de la Chine de se présenter comme une puissance pacifiste et de maintien de la paix.

L’Arabie saoudite sur les traces du Koweït er des Émirats arabes unis

L’Arabie saoudite a suivi les traces du Koweït et des Émirats arabes unis, qui ont renvoyé leurs ambassadeurs à Téhéran l’année dernière. Cependant, l’Iran et l’Arabie saoudite dirigent des camps idéologiques opposés et se combattent directement et indirectement dans tout le Moyen-Orient depuis des années, cherchant à façonner la région à leur image et à renforcer le camp sous leur propre direction – Sunna contre Chiite et Arabe contre Perse.

Le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale de l’Iran, Ali Shamkhani (à droite), et le premier conseiller à la sécurité nationale des Émirats arabes unis, Cheikh Tahnoon ben Zayed Al Nahyan, se serrent la main avant leur rencontre à Téhéran (Iran), le 6 décembre 2021.

L’annonce de la reprise des relations est une tentative d’apaiser les tensions et d’envoyer le message «business as usual», mais les affaires ne sont pas «as usual». Les deux pays continueront à se considérer mutuellement comme une menace et chercheront à renforcer leur influence dans divers domaines.

L’Iran continuera à considérer les relations étroites entre Riyad et Washington et la présence militaire américaine dans les pays du Golfe comme une menace pour ses intérêts. Néanmoins, la reprise des relations devrait contribuer à réduire le niveau de tension et, peut-être, à prévenir les actions belliqueuses de l’un contre l’autre.

Le principal test devrait être la guerre au Yémen qui, ces dernières années, a donné lieu à d’innombrables attaques de missiles des Houthis sur le territoire saoudien, ce qui a conduit à un cessez-le-feu. La reprise des relations a été saluée par les parties proches de l’Iran dans la région, avec à leur tête le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ainsi que par l’Irak.

Quid d’Israël et des Accords d’Abraham ?

En ce qui concerne Israël, la reprise des relations est-elle une surprise sur le plan de la stratégie et du renseignement ?

L’engagement américain n’est pas suffisant, l’Iran est déjà un État du seuil nucléaire et peut-être sur la voie d’un État nucléaire, et Israël n’offre pas non plus un parapluie de sécurité face à la menace iranienne.

INSS – 14 mars 2023

Quoi qu’il en soit, la décision saoudienne, du moins sur le plan cognitif, nuit à la fois aux efforts publics déclarés du Premier ministre Benjamin Netanyahu pour parvenir à une normalisation formelle des relations avec Riyad et aux efforts d’Israël pour établir un camp anti-iranien dans la région.

Les actions de l’Arabie saoudite clarifient une fois de plus ses intérêts géostratégiques, qui découlent d’un équilibre clair des forces en faveur de Téhéran. Même si les inquiétudes saoudiennes concernant l’Iran ne s’apaiseront pas avec la reprise des relations et si l’intérêt pour des relations de sécurité solides avec Washington demeure, la récente décision reflète la compréhension/préoccupation que l’engagement américain n’est pas suffisant, que l’Iran est déjà un État du seuil nucléaire et peut-être sur la voie d’un État nucléaire, et qu’Israël n’offre pas non plus un parapluie de sécurité face à la menace iranienne.

Par conséquent, il doit couvrir les risques et réduire l’intensité de la confrontation avec le principal rival, et il est préférable de garder l’ennemi proche. Dans le même temps, la reprise des relations avec l’Arabie saoudite, sous la médiation de la Chine, renforcera le sentiment de confiance de l’Iran dans sa capacité à faire face au durcissement des sanctions, souhaité par Washington et Israël, compte tenu des progrès alarmants du programme nucléaire iranien.

Cette initiative pourrait également renforcer le front Russie-Chine, qui est important pour l’Iran. Néanmoins, la reprise des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran n’empêche pas une future normalisation des relations avec Israël.

Même l’annonce par les Émirats arabes unis de la normalisation des relations avec Israël n’a pas empêché le retour de l’ambassadeur à Téhéran et le resserrement des liens bilatéraux, y compris militaires.

Les considérations de Riyad sont plus larges et incluent l’arène palestinienne, les relations avec les États-Unis, notamment en ce qui concerne les ventes d’armes et les garanties de sécurité, ainsi que le statut spécial de l’Arabie saoudite en tant que protectrice des lieux saints de l’Islam.

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