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INSS : L’inculpation de Poutine par la Cour pénale internationale, un précédent qui inquiète Israël

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L’Institut des études de sécurité nationale israélien, INSS,a publié ce lundi 3 avril une note sur l’impact sur Israël du mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre de Vladimir Poutine.

Ori Beeri, le coordinateur du programme «Droit et sécurité nationale» du Think tank suscité, affirme que cette décision «spectaculaire» constitue un précédent inquiétant pour I’État hébreu. Car, quand bien même, un pays n’est pas membre de la CPI, ses dirigeants ne sont pas à l’abri de poursuites. Israël pourrait ainsi être confronté un jour aux accusations de crime de «transfert de population» ( évacuation de villages palestiniens ) ou de «crime de colonisation». Une enquête concernant Israël est en cours à la Cour Pénale Internationale.

Ci-après la traduction intégrale de la note de l’INSS.

Le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale (CPI) a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre du président russe Vladimir Poutine et d’un membre important de son gouvernement, soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre en déportant et en transférant illégalement des enfants de l’Ukraine vers le territoire russe.

C’est la première fois que la CPI délivre des mandats d’arrêt dans le cadre de son enquête sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine, et l’on s’attend à ce que d’autres procédures soient engagées pour d’autres crimes de guerre.

Il s’agit d’une décision spectaculaire qui pourrait avoir un impact profond sur l’avenir de la CPI. En outre, les procédures pourraient avoir un large éventail de ramifications, notamment en :

  1. accentuant l’isolement de Poutine et en limitant sa capacité à voyager,
  2. renforçant le soutien mondial à l’Ukraine,
  3. influençant les futurs pourparlers de cessez-le-feu entre les deux parties.

Du point de vue israélien, cette évolution est préoccupante, car elle montre que même si un État n’est pas membre de la CPI, ses dirigeants ne sont pas à l’abri de poursuites. Elle indique également les futures décisions juridiques possibles concernant le crime de transfert de population, ainsi que les difficultés probables auxquelles Israël sera confronté pour rassembler des soutiens en faveur de sa position devant la CPI.

La Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI) a délivré des mandats d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine mais également contre Maria Lvova-Belova, la commissaire russe aux droits de l’enfant. Ils sont accusés de crimes de guerre, à savoir la déportation et le transfert illégaux d’enfants ukrainiens des zones occupées de l’Ukraine vers la Fédération de Russie.

La Russie a condamné cette décision, arguant que les mandats d’arrêt n’avaient aucune signification juridique, puisque la Russie n’est pas membre de la CPI et n’est nullement obligée de s’y conformer.

Alors que de nombreux États et organisations, dont les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Union européenne, ont exprimé leur soutien à cette décision.

C’est la première fois que la CPI délivre des mandats d’arrêt dans le cadre de son enquête sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Initialement, la procédure portait sur des crimes présumés commis dans le cadre de l’annexion de la péninsule de Crimée et des combats dans l’est de l’Ukraine en 2014.

L’Ukraine et la Russie ne sont pas membres de la CPI, mais l’Ukraine a donné son accord ad hoc à la compétence de la Cour pour enquêter sur les crimes commis sur son territoire depuis le 21 novembre 2013.

Le 2 mars 2022, peu après l’invasion russe, le procureur de la CPI, Karim Khan, a annoncé l’ouverture d’une enquête officielle, précisant que celle-ci porterait également sur les allégations de crimes de guerre commis pendant les combats actuels.

Un précédent à l’encontre d’un membre du Conseil de Sécurité !

Le fait que la CPI ait rendu publics ces mandats d’arrêt est inhabituel, puisqu’ils sont généralement délivrés sous scellés, afin de protéger les victimes et les témoins potentiels, et de veiller à ce que l’efficacité de l’enquête ne soit pas compromise.

Dans sa déclaration, la Cour explique toutefois que, compte tenu du fait que des crimes continuent d’être commis sur le terrain, le fait que ces mandats soient portés à la connaissance du public pourrait contribuer à y mettre un terme. Bien que les mandats eux-mêmes restent confidentiels, des rapports indiquent que quelque 6 000 enfants ukrainiens ont été détenus dans des dizaines de «camps de rééducation politique» en Russie, soumis à un enseignement et à un endoctrinement pro-russes, et que des centaines d’enfants ont ensuite été adoptés par des familles russes.

La Russie elle-même n’a pas caché cette activité, mais a affirmé qu’il s’agissait d’une politique humanitaire visant à aider les enfants contraints de fuir la zone de guerre.

Ce n’est pas la première fois que la CPI émet des mandats d’arrêt contre un chef d’État en exercice : en 2009, un mandat a été émis contre le dirigeant soudanais Omar el-Béchir, et en 2010, contre le président libyen Mouammar Kadhafi. Toutefois, les mandats d’arrêt actuels constituent un précédent pour la CPI car, pour la première fois, des mesures concrètes ont été prises à l’encontre de ressortissants de l’un des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.

Dans une interview accordée à CNN, e procureur général de la CPI, Karim Khan, a déclaré que la décision de se concentrer d’abord sur Poutine et ces allégations découlent de preuves recueillies sur le terrain et n’ont pas été arrêtées à l’avance, ajoutant que d’autres pistes d’enquête étaient également à l’étude.

En effet, le 13 mars, le New York Times a révélé que le bureau du procureur de la CPI envisageait d’ouvrir d’autres procédures concernant le ciblage délibéré d’infrastructures civiles. On peut supposer que la CPI examine également les allégations formulées dans les rapports de diverses organisations, notamment la Commission d’enquête des Nations unies sur les droits de l’homme en Ukraine, qui a trouvé des preuves d’un large éventail de crimes de guerre, notamment d’homicides volontaires, de séquestrations, de tortures, de viols et d’attaques indiscriminées et disproportionnées.

En outre, le 20 mars, la CPI a organisé une session de formation sur la protection des témoins et le soutien aux victimes de violences sexuelles liées au conflit en Ukraine, et il est probable que ces questions fassent également l’objet d’un examen. Ces procédures sont conformes à la politique du Khan qui consiste à donner la priorité aux crimes de violence sexuelle et sexiste et aux crimes contre les enfants.

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Le transfert forcé d’enfants figure sur la liste des éléments pouvant constituer un génocide en vertu du statut de la CPI. Interrogé sur la décision de délivrer des mandats d’arrêt pour crimes de guerre, plutôt que pour crimes contre l’humanité ou génocide, Karim Khan a répondu que l’enquête n’en était qu’à ses débuts et que si de nouveaux éléments de preuve suggéraient d’autres crimes, son bureau ajouterait des charges en conséquence.

La CPI ne mène pas de procès contre des suspects par contumace, de sorte que tant que Poutine et Lvova-Belova ne sont pas placés en détention par la Cour, les procédures à leur encontre sont gelées.

De plus, la CPI ne dispose pas de ses propres forces de police et s’en remet à ses États membres, qui sont tenus de l’aider à exécuter les mandats d’arrêt.

Actuellement, 123 pays sont membres de la CPI, dont la plupart des pays occidentaux. Cependant, la CPI elle-même ne dispose pas d’outils efficaces pour faire respecter cette obligation et, par le passé, plusieurs pays, dont la Jordanie et l’Afrique du Sud, ont refusé d’arrêter des suspects qui se trouvaient sur leur sol (la plupart de ces affaires concernaient le refus des pays d’arrêter l’ancien dirigeant soudanais Omar al-Bashir).

Poutine doit se rendre en Afrique du Sud au mois d’août pour assister au sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui réunit cinq économies émergentes. Dans une déclaration officielle, l’Afrique du Sud a indiqué qu’elle était consciente de ses obligations légales concernant la visite de Poutine.

Immunité des Chefs d’États en exercice

La situation actuelle soulève une question qui a été soumise à la CPI à plusieurs reprises dans le passé, concernant l’immunité de poursuites pénales dont bénéficient les chefs d’État – et d’autres hauts fonctionnaires – en vertu du droit international, ainsi que l’immunité d’arrestation par les autorités d’un autre État.

Le statut de la CPI stipule que même les chefs d’État en exercice ne bénéficient pas de l’immunité de poursuites. Toutefois, il stipule également qu’aucune demande de remise ou d’assistance ne sera acceptée si elle oblige un État à violer ses obligations en vertu du droit international en ce qui concerne l’immunité diplomatique accordée à un ressortissant d’un État tiers – tant que cet État tiers n’a pas donné son accord à la levée de l’immunité.

En 2019, la Chambre d’appel de la CPI, examinant le refus de la Jordanie d’arrêter Al-Bachir, a statué que les chefs d’État ne jouissaient pas de l’immunité de poursuites devant la Cour. Toutefois, cette décision ne précisait pas si elle s’appliquait à un État qui n’est pas membre de la CPI, uniquement lorsque l’enquête a été lancée sur la base d’un renvoi du Conseil de sécurité de l’ONU, comme c’était le cas pour le Soudan.

Le mandat d’arrêt à l’encontre de Poutine aura des répercutions considérables sur la CPI

Aujourd’hui, il semble que la CPI ait adopté la position selon laquelle, même si une enquête n’a pas été ouverte à la suite d’un renvoi par le Conseil de sécurité, les chefs d’un État non membre de la CPI ne bénéficient pas de l’immunité de poursuites, et un État membre doit arrêter un suspect provenant de cet État si et quand il se trouve sur son territoire.

Il s’agit de l’une des décisions les plus spectaculaires prises par la CPI depuis sa création il y a une vingtaine d’années, et elle devrait avoir des répercussions considérables sur l’avenir de l’organisation.

D’une part, il est très peu probable que Vladimir Poutine soit extradé et jugé à La Haye dans un avenir proche, ce qui pourrait nuire au statut et au prestige de la Cour, surtout si Poutine visite des États membres de la CPI sans être arrêté.

D’un autre côté, cette décision montre que Karim Khan n’a pas peur d’affronter les superpuissances, et elle s’inscrit parfaitement dans la politique qu’il mène depuis qu’il a pris ses fonctions de procureur de la CPI : «faire de la CPI un acteur important dans les conflits contemporains et en faire une plaque tournante de la justice internationale grâce à une coopération accrue avec les États parties».

Karim Khan indique qu’une large coopération avec un certain nombre de pays, sous les auspices de l’Union européenne, a permis un accès rapide aux informations et aux preuves, et a accéléré les procédures en cours.

Par ailleurs, la procédure pourrait avoir des ramifications beaucoup plus larges, notamment en :

  1. renforçant l’isolement de Poutine et en limitant sa capacité à voyager ;
  2. classant Poutine comme criminel de guerre ;
  3. sapant la motivation des soldats russes sur le terrain ;
  4. eaccroissant le soutien mondial en faveur de l’Ukraine.

En outre, cette décision pourrait avoir un impact sur les futures négociations de cessez-le-feu entre les deux pays, même en ce qui concerne le lieu de ces négociations. Elles ne pourraient pas se tenir sur le sol d’un pays membre de la CPI, et il est également possible que la Russie exige le gel de toute procédure devant la CPI comme condition préalable aux négociations. Elle pourrait le faire en utilisant une résolution adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui a le pouvoir d’ordonner un arrêt d’un an des procédures, qui peut être prolongé pour des périodes supplémentaires d’un an à chaque fois.

Un risque potentiel pour Israël

Une enquête concernant Israël est en cours à la Cour Pénale Internationale.

Elle a été officiellement lancée en mars 2021 et porte sur des allégations de crimes commis en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza à partir du 13 juin 2014 par toutes les parties impliquées dans le conflit.

Les procédures en cours contre l’Ukraine soulèvent un certain nombre de préoccupations dans le contexte israélien.

Tout d’abord, la décision selon laquelle les chefs d’État qui ne sont pas membres de la CPI ne bénéficient pas de l’immunité pourrait avoir des conséquences sur les procédures éventuelles engagées contre de hauts responsables israéliens.

Deuxièmement, des mandats d’arrêt ont été délivrés pour le crime de transfert de population. Il s’agit de la même clause qui interdit également le transfert de la population d’une puissance occupante vers le territoire occupé («le crime de colonisation») et le transfert de la population occupée à l’intérieur du territoire lui-même.

Les futurs arrêts de la Cour dans la procédure contre Poutine pourraient avoir un impact à l’avenir sur l’enquête concernant Israël, à la fois en termes de «crime de colonisation» et d’évacuation de villages palestiniens.

Par ailleurs, l’accroupissement du soutien à la CPI, qui découle en partie de la vague mondiale de soutien à une enquête contre la Russie, pourrait rendre difficile pour Israël de recruter des pays et d’autres acteurs influents pour faire pression sur le procureur de la CPI afin qu’il gèle l’enquête concernant Israël, sur la base d’arguments contre la légitimité et l’autorité de la Cour lorsqu’il s’agit d’États non membres tels qu’Israël.

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