Le roi Salmane Ben Abdelaziz a nommé, dimanche 10 février 2019, le sulfureux Turki Ben Abdallah Al-Dakhil, nouvel ambassadeur d’Arabie saoudite aux Émirats arabes unis. Ce poste éminemment stratégique ne revient généralement qu’aux dignitaires de l’Etat les plus expérimentés. D’aucuns s’interrogent sur le choix de ce journaliste très polémique pour occuper cette fonction très sensible. La réponse est à trouver du côté du prince héritier Mohammed Ben Salmane dont l’ancien directeur général d’Al-Arabiya a été un des principaux conseillers jusqu’à sa nomination hier à Abu Dhabi. Et c’est justement MBS qui a proposé son nom au roi Salmane qui l’a systématiquement validé.
Dans son premier grand format avec la chaîne panarabe Al Jazeera, le ministre marocain des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Nasser Bourita, était l’invité, mercredi soir, de l’émission phare et à grande audience, «bila houdoud» [Sans frontières]. La crise entre les pays du Golfe, l’Iran, le Yemen, le Sahara, la relation avec l’Algérie, l’Afrique, la Syrie et la question palestinienne, tels sont les principaux sujets discutés lors de cette rencontre qui a duré une quarantaine de minutes.
Sous le feu des projecteurs depuis le déclenchement de la crise du CCG avec le Qatar, le désormais ex-ministre saoudien des Affaires étrangères a dû aussi endosser la délicate mission de porte-parole diplomatique de la campagne militaire au Yémen menée principalement par son pays et les Emirats arabes unis. Un exercice usant qui s’est compliqué avec l’éclatement de l’affaire Khashoggi. L’ancien chef de la diplomatie de l’Arabie saoudite a joué un rôle ingrat, devant faire face aux médias et aux gouvernements de la planète et défendre l’indéfendable suite au meurtre du célèbre journaliste saoudien dans le consulat de son pays à Istanbul. Fatigué, déprimé et travaillant sous forte tension depuis plusieurs mois, cet ancien ambassadeur à Washington, et protégé du prince héritier, ne faisait plus l’affaire ni de l’administration américaine ni du roi Salmane. Ce dernier, et sur instigation du général John Abizaid, nouvel ambassadeur US à Riyadh, a décidé de décharger son ministre des Affaires étrangères et le rétrograder d’un échelon ministériel tout en le maintenant membre du conseil des ministres mais sous les ordres d’un nouveau chef de la diplomatie, Ibrahim Abdelaziz Al-Assaf. Cette décision a fait bondir MBS qui, pour défendre son protégé, l’a vite rattaché à «son» prestigieux et influent conseil des affaires politiques et de sécurité.
Le roi Salmane Ben Abdelaziz al-Saoud a signé plusieurs décrets royaux parmi lesquels un réorganisant l’ensemble des structures du Conseil des ministres, un autre nommant Ibrahim Al-Assaf nouveau chef de la diplomatie et un décret royal désignant le prince Abdallah Ben Bandar Ben Abdelaziz, ministre de la Garde nationale.
La tournée de MBS en Afrique du Nord n’aura pas révolutionné les relations avec les pays de la région. Menée tambour battant, cette tournée a permis à Riyadh de chercher plus de soutien et à rompre son isolement sur le plan international depuis l’affaire Khashoggi. Après s’être drapé dans les oripeaux de la révolution tunisienne, berceau du printemps arabe, le Prince héritier de l’Arabie Saoudite, Mohamed Ben Salmane, s’est envolé pour l’Amérique du Sud pour assister au sommet du G20 avant de terminer sa tournée en Afrique du Nord.
Que retenir de la tournée de MBS en Afrique du Nord ? Premièrement, MBS, dont l’image est fortement malmenée sur le plan international, a tenté de se refaire une virginité en visitant deux pays touchés par le printemps arabe, l’Egypte et la Tunisie. Deuxièmement, cette tournée dans le nord de l’Afrique lui a permis de consolider ses alliances et de raffermir les relations de coopération avec plusieurs pays comme la Mauritanie, l’Egypte, l’Algérie et la Tunisie. Troisièmement, que ce soit en Algérie ou en Tunisie ou même en Mauritanie, la visite de MBS a soulevé une levée de boucliers de la société civile. La plus forte mobilisation contre la visite de MBS a été enregistrée en Tunisie où plusieurs manifestations ont dénoncé sa venue dans le pays de la Révolution du Jasmin. L’Algérie n’a pas été en reste avec une forte mobilisation de la société civile.
La course aux alliances
#انفوجرافيك_واس .. الرئيس التونسي يمنح الصنف الأكبر من وسام الجمهورية لسمو ولي العهد.#واس pic.twitter.com/kSxYDfnMOw
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Mis à part ces enseignements, la tournée de MBS dans le nord du continent a permis à l’Arabie Saoudite de mieux sonder ses alliés par rapport à un dossier hautement toxique sur le plan diplomatique : l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Si l’Egypte et la Mauritanie ont clairement affiché leur parti-pris pour Riyadh, l’Algérie et la Tunisie se sont montrées plus réservées. Et pour cause, l’Egypte, depuis le renversement du gouvernement issu des urnes par l’armée, peut compter sur l’aide substantielle du royaume des Al-saoud. De même, Nouakchott a de fortes relations avec Riyadh. La visite de MBS en Mauritanie a été l’occasion de signer davantage de conventions et accords de coopération. Premier bailleur de fonds de la Mauritanie avec près de 300 millions de dollars déposés à la Banque centrale, l’Arabie saoudite intervient financièrement dans plusieurs secteurs vitaux comme l’énergie électrique, l’agriculture ou les infrastructures. Après le décret de l’embargo contre le Qatar, la Mauritanie s’est alignée sur la position saoudienne et a rompu ses relations diplomatiques avec Doha.
Une affaire de style
En Tunisie, où MBS a été décoré de la plus haute distinction du pays, ce dernier a promis bien des choses sur le plan économique, notamment de fournir jusqu’à 400 millions de dollars et du pétrole à des tarifs préférentiels et de livrer des avions et des hélicoptères pour combattre les terroristes. L’Arabie Saoudite est le seul pays qui a respecté ses engagements pris lors de la rencontre internationale des investisseurs « Tunisia 2020 », en novembre 2016, en décaissant 500 millions de dollars sous forme de prêt sur 20 ans. Auxquels s’ajoutent 200 millions $ pour la relance de l’exportation et 100 millions $ sous forme de dons. Une manne qui a permis à la Tunisie de ne pas sombrer dans la crise économique.
إنشاء مجلس أعلى للتنسيق السعودي الجزائري، لتعزيز التعاون في المجالات السياسية والأمنية والاقتصادية والتعليمية والثقافية.#واس pic.twitter.com/daXPjSlZqP
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A Alger, fâchée par la décision de Riyadh d’augmenter la production de pétrole, MBS marchait sur des œufs, soucieux de ne pas irriter ses hôtes et surtout, d’arrondir les angles avec eux. Loin d’avoir opéré une « révolution » dans les relations bilatérales, la visite de MBS a débouché sur la signature de quelques timides contrats de partenariat. La neutralité algérienne « constante » sur les dossiers dans lesquels est impliqué l’Arabie saoudite se trouve ainsi sanctionnée. Depuis l’éclatement de la crise entre le Qatar et l’Arabie Saoudite, Alger, Rabat et Tunis préfèrent rester neutres.
سمو #ولي_العهد في موريتانيا.. إنشاء مستشفى الملك سلمان.. وترميم مسجد الملك فيصل.. والتوقيع على اتفاقية ومذكرتي تفاهم.#واس pic.twitter.com/r8lJw8U2ay
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Au final, que retenir de cette tournée en Afrique du Nord si ce n’est la course aux ralliements pour compter ses soutiens moyennant des aides et des promesses. Isolé sur le plan international, après un scandale aussi retentissant que le meurtre d’un journaliste dans une représentation diplomatique, l’Arabie Saoudite essaie, bon an mal an, de redorer son blason.