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Attaque contre Aramco : le 11 septembre saoudien

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Au lendemain de l’attaque chirurgicale contre des installations du géant pétrolier Aramco, la confusion reste totale. On ne sait pas encore qui a lancé les attaques ni de quel territoire. Les citoyens saoudiens, la boule au ventre, s’interrogent sur l’efficacité du système de défense aérien patriote. Last but not least, les investisseurs et les gouvernements sont sur le qui-vive, dans l’expectative de la réaction du marché mondial des hydrocarbures. Ce qui est sur, c’est que l’Arabie saoudite de MBS n’a jamais été aussi vulnérable. Même son ancien allié, Mohammed ben Zayed, lui a tourné le dos. Seul, impopulaire, affaibli, le prince héritier voit son rêve d’un royaume influent et réformé s’écrouler. Son pays est désormais entouré de voisins hostiles ou d’amis blessés. Son protecteur, les États-unis, en guerre de survie avec la Chine, n’a plus aucun intérêt de continuer à assister un pays qui a perdu toute son influence. Il reste peut-être à MBS une seule alternative, convaincre Israël de se substituer aux États-unis dans la protection de son règne et de son pétrole.

Le coup est dur, très dur. Car il s’agit d’une attaque sans précédent dirigée contre le leader mondial d’approvisionnement de pétrole, Saudi Aramco. Une attaque qui a pris pour cible, le site d’Abqaiq, situé à 60 kilomètres au sud-ouest de la ville de Dhahran, où résident le pus grand nombre d’expatriés et qui abrite le principal siège du géant pétrolier, ainsi que la plus grande usine de traitement du pétrole du pays. Le deuxième site touché n’est autre que le plus important champ pétrolifère saoudien, Khurais, à 250 kilomètres de la première cible.

Dans un premier communiqué des autorités saoudiennes, il était question d’un arrêt de quelques jours de la moitié de la production des sites touchés, avant de reconnaitre dans un deuxième communiqué que la situation allait durer plusieurs semaines. Les spécialistes ont estimé l’impact de ce ralentissement de la production saoudienne à une réduction de l’approvisionnement mondial en pétrole à hauteur de 6%.

Anticipant la réaction du marché, la veille des ouvertures des places financières, les responsables d’Aramco puis Donald Trump ont annoncé leurs décisions de puiser dans leurs réserves stratégiques respectives. Malgré tout, le cour de pétrole a flambé de 20% à l’ouverture des marchés, cassant le plafond de verre de 67$.

D’ailleurs le cours du pétrole a enregistré son plus important bond en une journée, dépassant brièvement 71 dollars le baril. Les contrats à terme londoniens du Brent ont bondi de près de 12 dollars dans les secondes qui ont suivi l’ouverture, un record depuis leur lancement en 1988. Les prix ont depuis reculé d’environ la moitié.

Il s’agit de la pire perturbation soudaine jamais enregistrée sur les marchés. Elle dépasse d’ailleurs la perte de production de pétrole koweïtienne et iraquienne en août 1990, lorsque Saddam Hussein avait envahi le Koweït. Elle dépasse également la perte de production de pétrole iranienne en 1979 pendant la révolution islamique.

Frappes chirurgicales

Alors que les autorité saoudiennes ont refusé de communiquer sur les dégâts réels de l’attaque, le Pentagon a déclassifié dans la soirée du dimanche des photos satellites d’une des installations de traitement du pétrole à Abqaiq endommagées.

La précision des frappes est surprenante, les projectiles ont percé une rangée régulière dans les “sphéroïdes” de l’installation d’Abqaiq. Ce qui jette le doute sur le commanditaire de l’attaque. Car il est très difficile de croire que des drone artisanaux à 500 $ la pièce puissent être aussi précis.

Ces images montrent aussi que l’attaque venait du nord ou du nord-ouest, ce qui brouille davantage l’origine des projectiles.

Grosses manœuvres géopolitiques ont précédé cette attaque

L’attaque contre Aramco survient après quelques semaines marquées par de grandes manoeuvres géopolitiques et économiques.

En effet, à quelques heures de la double attaque, twitter s’était enflammé entre les émirats et les saoudiens, suite au traitement de la chaine saoudienne Al Arabyia de la mort de six soldats émiratis au Yémen.

Un proche de MBZ très actif sur Twitter a traité de tous les noms, Abderrahman Al-Rache, le patron de la chaine saoudienne, ayant son siège à Dubaï, lui reprochant d’avoir omis délibérément de qualifier les soldats morts de martyres.


Autre évènement majeur, a été le limogeage de John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, principal sponsor de la ligne dure contre l’Iran. Son départ été un véritable camouflet pour Riyadh.

Par ailleurs, les médias ont fait échos d’une série de bombardement qu’aurait perpétré Israël en Irak, ciblant plusieurs bases du Hachd al-Chaabi, une alliance constituée essentiellement de groupes armés favorables à l’Iran et opposés à la présence américaine en Irak. Attaques qui auraient été lancées à partir d’un territoire syrien contrôlé par un groupe armé proche de Riyadh.

Enfin le remplacement surprise du ministre de l’énergie, Khalid al-Falih et son remplacement par le demi-frère de MBS, Abdelaziz ben Salmane, ancien dirigeant d’Aramco.

L’IPO d’Aramco compromise

Dans un rare exercice de transparence, Aramco a publié la semaine dernière et pour la deuxième fois ses comptes. Le très secret géant pétrolier a ainsi communiqué son bénéfice du premier semestre 2019, en baisse de 12% par rapport à 2018. Avril dernier, Aramco avait annoncé un résultat net annuel de 111,1 milliards de dollars, faisant d’elle l’entreprise la plus rentable du monde, loin devant Apple (59,3 milliards de dollars de bénéfices en 2018) et Google (30,7 milliards de dollars).

Cet exercice de communication avait pour but de préparer la mise sur le marché de 5% du capital d’Aramco. Cette introduction en Bourse (IPO) est l’un des principaux piliers du plan «Vision 2030» élaboré par le prince pour réduire la dépendance du royaume au pétrole, diversifier son économie et attirer des investissements étrangers.

Mais cette introduction, qui allait être la plus importante opération jamais réalisée dans le monde, a buté sur deux principaux obstacles : la valorisation et la loi JASTA.

Pour lever ses 100 milliards de dollars, Mohammed Ben Salmane tablait sur une valorisation d’Aramco de 2 trillions de dollars. Mais après une année d’études, la meilleure offre qui lui a été proposée était un peu moins de 1 trillion de dollars, aussi bien par certains responsables saoudiens que par les banques d’affaires mandatées pour ce sujet. D’ailleurs c’est l’un des sujets de discorde qui a précipité le départ de l’ancien ministre de l’énergie.

Par ailleurs, la réussite de l’IPO dépendait de la place boursière qui allait l’accueillir, notamment New York. Mais MBS s’est rendu compte après coup, q’une cotation d’Aramco à Wall Street exposerait l’Arabie saoudite à la loi Jasta (Justice Against Sponsors of Terrorism Act), qui autorise des plaintes contre un Etat pour des attentats commis contre des intérêts américains. Les valeurs mobilières d’Aramco risque de se faire saisir par les familles de victimes des attentats du 11 septembre.

Le conseil d’administration d’Aramco, composé de ministres et de dirigeants de la compagnie, est parvenu, d’ailleurs à l’issue d’une réunion ce mois-ci, à la conclusion selon laquelle une cotation aux États-Unis ne sera pas envisagée “sauf si Aramco obtient une immunité souveraine la protégeant de toute procédure juridique”.

En attendant d’ouvrir le capital à des investisseurs étranger, l’Arabie Saoudite a prévu de coter 1% du capital de Saudi Aramco en Bourse de Riyadh en novembre prochain et 1% supplémentaire en 2020,

Et pour accélérer les préparatifs de l’introduction en bourse de Saudi Aramco, le Conseil d’administration du gérant pétrolier a réuni la semaine dernière, à l’hôtel Ritz Carlton de Dubaï, neuf banques d’affaires : JPMorgan, Morgan Stanley, la banque saoudienne National Commercial Bank, Bank of America Merrill Lynch Citi, Goldman Sachs, HSBC et Samba Financial Bank.

Trois jours après, le plus grand champ pétrolier d’Aramco et sa plus grande installation ont été bombardés et sa production paralysée.

L’Arabie saoudite a perdu son statut de Market Maker

Dans une interview donnée ce samedi à une radio algérienne, l’ancien ministre et président de la Sonatrach, soutient l’idée que vu l’abondance de l’offre pétrole, l’Arabie saoudite n’arrive plus à peser sur le marché pour réguler les prix et préserver ses parts de marchés. Surtout quand des informations révèlent que 70% des importations d’hydrocarbures d’Israel proviendraient d’Irak, et que plusieurs pays, notamment la Chine et la Turquie, s’approvisionnent de l’Iran en dépit l’embargo américain.

Cette perte d’influence met en difficulté les ambitions de Riyadh de financer son déficit budgétaire, ses programmes de transformation de l’économie ainsi que les guerres qu’elle mène au Yémen et en Irak.

Inside job ?

Depuis l’arrivée de MBS, l’Arabie saoudite n’a cessé de perdre ses amis et ses alliés traditionnels et de se froisser avec ses voisins : frontières fermée avec le Qatar, le Yémen et l’Iraq, tensions diplomatiques avec le Maroc, la Jordanie et les EAU et séquestration du président libanais Rafik Hariri. Sans compter l’effet dévastateur sur l’image du prince héritier de l’affaire Khashoggi et l’échec de son alliance avec MBZ au Yémen.

Tout s’écroule autour du prince héritier, seul l’espoir d’une prospérité économique en dépit des dangers qui guettent le royaume. Une abondance économique qui a pour code Aramco.

C’est cet espoir de sortie de crise qui sera la cible d’une attaque sophistiquée, paralysant la production sans endommager totalement les installations pétrolières. Le timing est très important, au lendemain de l’annonce de son ouverture du capital et pendant la semaine des commémorations du 18ème anniversaire des attentats du 11-Septembre. Un timing qui suscite des interrogations sur les objectifs premiers de cette attaque.

Commençons tout d’abord à énumérer les parties qui profiteront de cette crise :

  1. Les membres de l’OPEP+ qui vont pouvoir générer des marges plus importantes tout en gagnant de nouvelles parts de marché.
  2. Ceux qui sont hostiles à l’ouverture du capital de Saudi Aramco, notamment les membres de la famille royale qui ont affiché publiquement leurs désaccord à partager la richesse nationale et historique du royaume.
  3. Les opposants politiques de MBS. Il n’y a pas meilleur timing pour apporter le coup de grâce au prince héritier. D’ailleurs le porte parole des houthis qui a annoncé la revendication de son mouvement de l’attentat, a remercié dans son message ses «amis» présents sur le sol saoudien.
  4. L’Iran qui cherche à arracher le leadership régional et le rôle de pivot du monde arabo-musulman qu’occupait l’Arabie saoudite. D’ailleurs sur le terrain, l’Iran l’a chassé du Liban, de la Syrie, du Yémen, et d’Irak.
  5. Les parties opposées au rapprochement USA/Iran. D’ailleurs, la rencontre Trump/Rouhani prévue à New York en marge de l’AG des Nations Unies, sous les bons auspices d’Emmanuel Macron, n’est plus d’actualité.

Ce qui est sur, c’est qu’à 48 heures après les attaques, ni Riyadh, ni Washington ne souhaitent ouvrir un front militaire avec Téhéran. La décalssification des images satellites par le pentagone vont dans ce sens.

Dans sa guerre commerciale avec la Chine, les Etats-unis ont plus besoin de Téhéran que de Riyadh. Si la sécurité de ses points d’approvisionnement en énergie était durant le siècle dernier un sujet stratégique, aujourd’hui Washington prioriserait le contrôle des choke points stratégiques et des routes commerciales.


Références :

Saudi Aramco prépare la plus grosse entrée en bourse de l’histoire
Le conseil d’Aramco juge une IPO à New York trop risquée
Aramco a sélectionné neuf banques pour son IPO
Israël a bombardé un dépôt d’armes en Irak
Oil price posts biggest spike on record after Saudi drone attack
Attacks on Saudi Oil Risk Lowering Aramco IPO Valuation

 

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

1 Comment

  1. C’est curieux, les trous dans les réserves de gaz désignent une arrivée nord ouest (et non un sud-ouest apparent comme sur la photo) des vecteurs bombes (voir google maps à Abqaiq pour repérer l’orientation réelle). Dans une direction nord ouest on ne trouve pas de Yémen.

    C’est bizarre pour des drones qui sont revendiqués par les Houtis qui arrivent sud ouest, après avoir traversé un millier de km à travers l’Arabie Saoudite… en provenance de Sanaa? et se permettent le luxe d’un détour?

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