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A 96 ans, le Mage Henry Kissinger cherche-t-il à éviter à l’humanité une troisième guerre mondiale ou à neutraliser l’Eurasie ?

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Henry Kissinger, l’architecte de la scission entre l’URSS et la Chine maoïste qui a permis à l’empire du Milieu l’expansion économique qu’on lui connait aujourd’hui, continue à entretenir la stratégie de confinement qu’il a élaboré il y a 50 ans. Grâce à la complicité de Steve Bannon et le caractère «fougueux» de Donald Trump, Kissinger imaginera l’ultime plan censé «sonner le tocsin de la Chine».

Les rôles ont très bien été définis. Trump et son cabinet gèrent l’escalade diplomatique, Kissinger et ses sponsors négocient dans les coulisses. Après la déclaration de guerre commerciale de Trump envers la Chine en mars 2018, Henry Kissinger, en maître absolu de la Realpolitk, passera à l’offensive. De haut de ses 96 ans, il multipliera les contacts avec les décideurs chinois et fera pas moins de deux déplacements officiels à pékin. Hautement médiatisées, chacune de ces rencontres a été l’occasion au gouvernement de Xi Jinping d’accueillir, avec les honneurs, Kissinger, de distiller des messages d’apaisement et de réfuter toute intention hégémonique de la Chine. Le 22 novembre dernier, à l’occasion de sa participation dans un forum économique à Pékin, Kissinger sera plus que jamais alarmant en partageant ses craintes quant à l’éclatement d’un conflit militaire plus destructeur que celui de la première guerre mondiale. Une déclaration choc à travers laquelle le vieux loup vise à pousser les parties prenantes à conclure un accord qui tarde à voir le jour.

Avec Nixon, Kissinger a réussi à faire migrer la structure du monde de l’après-guerre vers un nouveau système international d’interdépendance. Cinquante ans plus tard, pourra-t-il récidiver avec Donald Trump, en installant un nouvel ordre mondial et en avortant le rêve sino-russe de l’émergence d’une grande puissance Eurasienne? 

«Le conflit commercial sino-américain pourrait être encore pire que celui de la Première Guerre mondiale». Ce titre alarmiste et accrocheur a fait le tour de la planète. Et pour cause, la déclaration vient de la bouche de l’emblématique ancien diplomate américain et le plus chinois des américains, Henry Kissinger. Pourtant la gravité de sa déclaration tranche avec les images qui montrent les poignées de mains et les sourires échangés avec le Président chinois, Xi Jinping et son vice-Président Wang Qishan.

Les déclarations alarmistes d’Henry Kissinger et la menace de Xi Jinping

C’est à l’occasion du «The New Economy Forum» organisé par Bloomberg Media Group à Pékin, jeudi 21 novembre, qu’Henry Kissinger a commis sa déclaration. Un événement qui a vu également la participation du fondateur de Microsoft, Bill Gates, de l’ancien secrétaire américain au Trésor américain, Hank Paulson, du PDG de Goldman Sachs David Solomon ou encore le chef de Standard Chartered Bill Winters.

D’emblée, l’ancien secrétaire d’Etat américain va planter le décor : «la Chine et les États-Unis sont  des pays d’une magnitude supérieure à celle qu’avait l’Union soviétique et des États-Unis. Les deux plus grandes économies du monde, qui se sont enfermées dans une guerre commerciale prolongée, vont inévitablement se marcher sur les pieds, l’une contre l’autre, partout dans le monde, dans le sens où chacun est conscient des objectifs de l’autre.»

Inquiet de cet affrontement commercial qui oppose les deux pays depuis l’an dernier, à coups de hausses mutuelles de droits de douane, Kissinger lance le pavé dans la marre : « Si on laisse le conflit se détériorer, le résultat pourrait s’avérer encore pire que ce qui s’est passé en Europe au XXe siècle», avant de rajouter : «La Première guerre mondiale a éclaté à la suite d’une crise relativement mineure, alors qu’aujourd’hui les armes sont bien plus puissantes».

«Cela rend, à mon avis, particulièrement important qu’une période de tension relative soit suivie d’un effort explicite pour comprendre les causes politiques ainsi que d’un engagement des deux parties pour tenter de les surmonter», a-t-il poursuivi. «Il est loin d’être trop tard pour cela, car nous sommes encore au pied d’une guerre froide.»

Si on laisse le conflit se détériorer, le résultat pourrait s’avérer encore pire que ce qui s’est passé en Europe au XXe siècle

Kissinger a parlé quelques heures après que le vice-président chinois Wang Qishan ait pris la parole devant les participants du New Economy Forum, affirmant que son pays était attaché à la paix.

«Entre la guerre et la paix, le peuple chinois choisit fermement la paix. L’humanité chérit la paix », a déclaré le numéro 2 chinois. «Nous devrions abandonner la mentalité de la somme nulle et la mentalité de guerre froide.» a-t-il renchérit.

Au lendemain de l’intervention de Kissinger, le Président chinois, Xi-Jinping, répondant aux questions des participants au forum, a confirmé l’optimisme de son vice-président tout en haussant le ton. 

« Nous ne voulons pas déclencher une guerre commerciale. Nous souhaitons conclure un accord commercial avec les États-Unis et nous travaillons activement pour y parvenir» a-t-il déclaré ». Et l’homme fort du Parti communiste d’ajouter : « Mais nous n’en avons pas peur. Nous répliquerons si nécessaire. »

Il s’agit là de la première déclaration officielle du président chinois sur le sujet, et ce depuis le début du bras de fer économique avec Washington, il y a un an et demi.

Nous n’en avons pas peur. Nous répliquerons si nécessaire.

XI Jinping

Les États-Unis et la Chine tentent de conclure un accord commercial partiel dans un environnement des plus tendus: Préoccupations en matière de droits de l’homme; Protestation populaire à Hong Kong; Conditions de musulmans Ouïghours dans la région chinoise du Xinjianget la concurrence stratégique en mer de Chine méridionale

Kissinger le sponsor américain de la Chine maoïste

Professeur puis conseiller pour la sécurité nationale puis secrétaire d’État sous les présidents Richard Nixon et Gerald Ford, Henry Kissinger était réputé pour avoir été, durant de nombreuses décennies, l’éminence grise des locataires de la Maison Blanche et du réseau d’influence des Rockefeller. Sa pensée et son influence ont été d’ailleurs décisives dans le maintien des relations diplomatiques avec l’Union soviétique et la Chine. 

Son rôle dans la libéralisation du régime chinois et son intégration progressive dans le nouvel ordre mondial d’après-guerre est un fait avéré par les historiens et géopoliticiens. Dans une note Potomac Paper, publiée par Policy Center of The New South et l’IFRI, sous le titre «les Etats-unis face à la Chine, de Henry Kissinger à Donald Trump» on apprend en effet comment l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Richard Nixon a réussi à pousser son pays à privilégier le dialogue et la coopération avec la Chine. Kissinger, précise la note d’analyse, pensait qu’une telle démarche allait garantir la stabilité dans la région et que les États-Unis devaient chercher un modus vivendi avec le régime autoritaire de Pékin tel qu’il était. Le fondateur de la Realpolitik avait prédit que le régime chinois n’allait pas nécessairement évoluer vers la démocratie et que cet état de fait n’est pas du ressort de la responsabilité morale des États-unis.

Henry Kissinger va réussir son coup malgré l’opposition d’une grande partie de l’administration américaine. Après sa première visite secrète à Pékin en 1971, où il a rencontré Mao, il sera aux premiers rangs, un an plus tard, aux côtés du président Nixon pour une visite historique en Chine. Une visite qui a vu la signature de plusieurs accords commerciaux juteux avec des oligarque du pays.

Henry Kissinger est ainsi entré dans l’histoire en étant l’homme celui qui a permis à la Chine de devenir la puissance économique et financière qu’elle est aujourd’hui. 

C’est ce tournant de l’histoire qui explique comment chez nous au Maroc, Othman Benjelloun, alors ami du pentagone américain, avait fait le voyage plusieurs fois en Chine durant cette période. D’ailleurs sa première rencontre avec Mao, fait partie du storytelling que le président du Groupe BMCE Bank Of Africa développe souvent quand il s’agit du projet la cité «Tanger Tech».

«L’Europe un appendice de l’Eurasie?»  No Way!

«La Chine est sur la bonne voie pour atteindre son objectif ultime : diviser l’alliance atlantique qui ferait de l’Europe un appendice de l’Eurasie. Une Europe qui serait ainsi à la merci d’une Chine voulant restaurer son rôle historique d’Empire du Milieu et être le conseiller principal de toute l’humanité», a alerté Henry Kissinger dans un long interview donnée au Financial Times, le 20 juillet 2018, au lendemain de la rencontre entre Trump et Poutine à Helsinki.

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Commentant la rencontre Trump/Poutine, Kissinger avait déclaré que l’alliance, de plus en plus solide, entre la Russie et la Chine, crée « un déséquilibre » et inquiète. « L’heure est excessivement grave » a-t-il martelé. 

Kissinger va donc encourager Trump de s’approcher davantage de Poutine tout en conseillant Xi Jinping de s’entendre plutôt avec Washington qu’avec Moscou. Il va se rendre au moins quatre fois à la Maison-Blanche depuis janvier 2017 et maintiendra un contact très régulier avec Mike Pompeo. 

Une proximité qui va finir par convaincre Donald Trump de «ne pas jeter la Russie dans les bras de la Chine».  Un pari kissingérien à l’envers, commentent les diplomates. L’ancien conseiller à la sécurité nationale de Nixon voulait en 1972 normaliser la relation entre les Etats-Unis et la Chine pour mieux neutraliser l’URSS de l’époque. Aujourd’hui, Trump cherche à ne pas se fâcher avec Moscou pour mieux contenir la Chine. 

En Europe, la stratégie de Kissinger n’a pas bougé d’un iota. En fervent défenseur des relations entre Londres et Washington, l’ami de Margaret Thatcher continue à penser que la « relation spéciale et privilégiée» entre son pays et le Royaume Unis reste fondamentale.

Ivanka-Kissinger : un dispositif agile, catalyseur de la rupture

« Il me semble que Trump est l’une de ces figures de l’histoire qui apparaît de temps en temps pour marquer la fin d’une époque et la forcer à abandonner ses convictions dépassées. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il le sache ». Une déclaration d’Henry Kissinger à la presse qui fera date et qui explique dans une certaine mesure les décisions souvent choquantes du Président américain.

Il est à savoir que dès l’élection de Donald Trump, Kissinger sera approché par Steve Bannon pour concevoir la stratégie Chine, laquelle stratégie que Bannon a qualifié du projet qui va «sonner le tocsin de la Chine». Cependant, Bannon finira par fâcher Ivanka qui le qualifiait de « la reine des fuites ». Le père sera contraint, en août 2017, de démettre son Conseiller spécial de ses fonctions.

Octobre 2017 : Henry Kissinger reçu par Donald Trump à la Maison Blanche

Steve Bannon ne sera pas le seul à être chassé de la Maison Blanche. L’approche disruptive du Président américain et le manque de confiance de ce dernier dans l’Etat profond, accentueront l’exode de nombreux hauts responsables du département d’Etat. Un turnover qui va pousser Trump à privilégier les liens familiaux, les liens d’affaires et les liens informelles pour gérer ses relations avec le monde.

L’agilité du dispositif permet en effet au Président américain de gérer le curseur de la pression, au couple Jared et Ivanka de maintenir des relations d’affaires et à Kissinger et ses sponsors de négocier dans les coulisses.

La quête d’un nouvel ordre mondial capable de contenir la révolution numérique

Au delà du conflit commercial sur des produits de l’ancienne économie qui se manifeste par une guerre des droits de douanes, la bataille technologique est de loin la plus féroce et la plus intense entre les deux puissances. Trump et Jinping et leurs administrations respectives s’inquiètent moins sur l’acier ou le cacao mais davantage sur Huawei et Google et sur le Big Data et l’Intelligence Artificielle.

En effet, si les Etats-unis et la Chine sont au pied d’une guerre froide à l’ancienne, le monde et d’ores et déjà dans une «guerre froide technologique» qui s’intensifie jour après jour. Une guerre dans laquelle l’innovation et les systèmes technologiques se développent séparément aux États-Unis et en Chine.

Intervenant jeudi dernier au «The New Economy Forum» de Pékin, l’ancien secrétaire américain au Trésor, Hank Paulson, a partagé sa plus grande préoccupation sur le sujet : «Une telle fracture oblige les pays à choisir une fois pour toute de travailler avec la Chine plutôt qu’avec les États-Unis».

«D’aucun pays, à ma connaissance, n’est prêt à abandonner ses relations commerciales et technologiques avec la Chine», a-t-il poursuivit. «Si les pays tiers adoptent les normes chinoises, alors seule la Chine aura accès à ces marchés, laissant les États-Unis dans le froid.»

Durant l’été 2017, plus précisément le 20 juillet, le Conseil d’État chinois a pris le monde entier de court en publiant le «Plan chinois de développement de l’intelligence artificielle de nouvelle génération». L’ambition de ce programme était claire : « Pour que la Chine dirige le monde dans le domaine de l’IA : La Chine sera le premier centre mondial d’innovation de l’IA d’ici 2030. »

Grâce à ce nouveau cadre stratégique adopté par la gouvernance suprême du pays, la Chine annonce la mise en oeuvre du programme «trois en un» en matière d’IA: 1) s’attaquer aux problèmes clés de la recherche et du développement. 2) Développer une gamme de produits et d’applications 3) cultiver une industrie de l’IA. 

Le timing de cette annonce était crucial. Les dirigeants chinois ont profité de la latence américaine sur le sujet pour la transformer en une «opportunité stratégique majeure» afin de faire progresser le développement de leur programme d’Intelligence artificielle, dans l’optique de dépasser potentiellement les États-Unis.

Eric Schmidt est aujourd’hui l’un de mes meilleurs amis. Il m’a invité à faire un discours chez Google […] et j’ai commencé mon discours en disant […] «Je veux que vous compreniez tous que je considère Google comme une menace pour la civilisation telle que je la comprends.

Henry Kissinger

L’annonce du Comité central du Parti communiste chinois a eu l’effet d’une bombe aux états-unis. Moins d’une semaine après, Elon Musk, le symbole de l’innovation américaine va s’attaquer publiquement aux programmes d’IA de Facebook, qu’il l’a qualifié de danger national. Le 31 juillet 2017, l’ensemble des programmes d’IA de Facebook et Google ont été arrêtés net. Les Etats-unis annonceront, quelques semaines après, le lancement d’un programme national d’IA, pour faire face à la menace chinoise.

Après cet épisode, Steve Bannon, le Conseiller Spécial de Donald Trump, va publier un article sur son site Breitbart, un site financé par le milliardaire Robert Mercer, dans lequel il déclare explicitement la guerre technologique avec la Chine. « Mis à part les 150 dernières années, les 4000 ans d’histoire diplomatique de la Chine se définissent par le management barbare. C’est toujours une question de soumettre les barbares et d’en faire des satrapies. Le tribut que nous payons à la Chine, c’est notre technologie – c’est ce qu’ils exigent pour qu’on puisse accéder à leur marché et cela nous a coûté 3500 milliards de dollars dans la dernière décennie. Nous leur donnons ce qui fait la base du capitalisme américain : nos innovations ».

Les mois qui vont suivre, Washington va déclarer la guerre à Huawei, en interdisant dans une premier lieu les smartphones de la marque à l’ensemble de ses fonctionnaires et ses miliaires, avant de s’attaquer à son offre 5G. Le département américain aurait même impliqué leurs ambassades dans les quatre coins de la planète, pour faire pression sur les gouvernements en les alertant sur les dangers sécuritaires de la technologie 5G de Huawei. 

«Je suis convaincu que l’intelligence artificielle et les disciplines qui l’entourent vont apporter un changement dans la conscience humaine, à l’instar des Lumières»

Henry Kissinger

La quatrième révolution industrielle qui se passe en se moment sous les yeux du monde, inquiète aussi bien la Chine que les USA. D’une part c’est tout le modèle industriel chinois basé sur la main d’ouvre à bas coût qui menace de s’effondrer et d’autre part l’attractivité croissante de la technologie chinoise qui miroite aux investisseurs l’accès à son marché, risque de briser une fois pour toute la dominance américaine sur le monde.

Pékin future menace de la place financière de New York

Après avoir ravi à Londres le titre de place financière la plus attractive au monde en 2018, entre autres grâce au Brexit, New York craint sur son avenir. Une inquiétude exprimée par le l’ancien secrétaire américain au Trésor, Hank Paulson. « La situation qui prévaut dans la sphère technologique est valable pour le secteur financier, mettant en péril l’avenir de New York en tant que centre financier mondial»  s’est-t-il inquiété.

«À moins que quelque chose de très grave se passe en Chine, aucun pays ne voudra se dissocier de ses marchés financiers“, a déclaré Paulson dans son intervention au NEF. «La Chine occupera  sans aucun doute une place importante dans la structure financière mondiale dans les décennies à venir.»

Et ce n’est pas la directrice du FMI qui va le contredire. En effet, Kristalina Georgieva a loué le rôle désormais majeur de la Chine dans la bonne marche de l’institution qu’elle dirige. 

«Pour le FMI, il est essentiel de disposer de la force financière nécessaire pour servir de filet de sécurité financière mondiale», a déclaré la Directrice générale du FMI. «Nous sommes très reconnaissants envers nos actionnaires, très reconnaissants envers la Chine, d’avoir porté nos ressources financières à 1 000 milliards de dollars, de sorte que nous disposons d’un matelas de sécurité – si nous en avons besoin.»

La menace chinoise sur le système financier américain serait selon quelques théories complotistes derrière le mouvement social à Hong Kong. En alimentant la colère de la rue durant des mois, les américains chercheraient à paralyser le hub névralgique où transitent les flux financiers chinois.

Dans son mot de la fin au «The New Economy Forum» de Pékin, Henry Kissinger parlera au nom des dirigeants chinois.  « Leur vision du développement national n’est pas nécessairement de menacer les États-Unis, mais de renforcer la Chine» a-t-il rassuré avant de conclure par une de ses expressions qui font sa gloire : «Je ne considère pas que la Chine a commencé. C’est l’Histoire qui a commencé

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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