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Deal du Siècle : fin d’un siècle de mensonges ?

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Ce qui est jouissif avec Donald Trump, c’est qu’il a tellement simplifié la géopolitique, qu’il l’a rendu accessible au commun des mortels que nous sommes. Exit donc la langue de bois positive qui a incarné depuis le dix-huitième siècle, les spécificités de la sémantique de la diplomatie gallomaniaque héritée de l’Europe aristocratique. Le 21ème siècle est désormais le siècle du «cru». La démonstration ultime a été faite, mardi, par Donald Trump, au lendemain de la commémoration planétaire et très politique de la Shoah, quand il a posé sur la table du concert des nations, tenu en haleine depuis pas moins de deux ans, son offre pour la paix entre israéliens et palestiniens. Une offre portant trois dénominations «The Deal of The Century», «Vision of Peace» et «Peace to Prosperity Plan». Une transaction couchée sur 80 pages, couronnée par deux cartes «conceptuelles» et précédée par un show, des standing ovations et des auto-félicitations.
Les messages de Donald et son ami Bibi étaient clairs et limpides. D’aucun ne peut prétendre dorénavant une quelconque complexité de la situation israélo-palestinienne : 1) Unification d’Israël et sa sécurité sont l’objectif ultime 2) L’Etat d’Israël est un état juif; 3) Israël ne quittera jamais «ses terres» conquises y compris les colonies; 4) Jerusalem capitale indivisible d’Israël et Abou Dis capitale de la Palestine; 5) 50 milliards de dollars (financés par le GCC) sont d’ores et déjà provisionnés pour les dirigeants de le futur «Etat» de Palestine ; 6) Cerise sur le gâteau : 4 années supplémentaires pour Bibi.
Et pour donner du grains à moudre aux médias, Jared Kushner s’est chargé du service après vente : «A tous ceux qui critiquent ce plan extraordinaire de Trump et qui trainent plus de 72 ans d’échecs et de violence : Cessez de mentir à vos peuples!»

Le spectacle était triste pour nous les arabes. Surtout les générations ayant grandi avec les images des «Intifadats», les complaintes de Mahmoud Darwish et l’hymne d’Al Qods de Fayrouz. Bizarrement ce ne sont pas les discours des winners, Donald et Bibi, savourant leur victoire après plus d’un siècle de manoeuvres militaires, économiques et diplomatiques, qui nous ont plongé dans la dépression. C’est plutôt l’image de la désunion des capitales arabes. D’un côté, trois ambassadeurs du Golfe, fêtaient la victoire d’Israël en donnant davantage d’échos aux standing ovations qui ont ponctué presque chacune des phrases de Donald et de Bibi. Et d’un autre côté, les images lugubres de Ramaallah, montrant un Abbas, gavé par les aides internationales parlant au téléphone à un Ismail Haniyeh, en manque des séances de stretching dans les palaces de Doha.

https://twitter.com/urizohar/status/1222498962449498113

Entre ces deux extrêmes, les capitales arabes ne savent plus à quel saint se vouer. Ne citant que la Jordanie, première victime collatérale de la clarté du «deal du siècle», le Roi Abdallah II est tenu en tenaille entre la gestion des réfugiés, palestiniens, syriens et irakiens, la récession économique qui a ruiné le royaume hachémite, la perspective de perte de toute influence régionale et la reconfiguration de la géopolitique du gaz en Méditerranée.

Par ailleurs, les adversaires de Trump, et ils sont nombreux, Paris, les démocrates américains et les travaillistes britanniques, ont enterré le deal du siècle avant même son annonce.

Le cas de la France est édifiant. L’échec d’Emmanuel Macron, de redonner à son pays son poids dans le processus de paix, s’est traduit par une campagne médiatique sans précédant menée par l’AFP puis par tous les appendis de l’Etat profond pour tuer le «deal du siècle» dans l’oeuf. Une réaction qui traduit le sentiment d’exaspération d’Emmanuel Macron après l’inefficacité de sa danse du ventre, durant la commémoration de la Shoah, à capter l’attention des dirigeants israéliens et le coup de com raté à Jerusalem quant il a essayé de refaire «une Chirac», dans l’espoir de gagner la sympathie des palestiniens. Privée de la carte palestinienne qui lui permettait jadis de peser sur Bilad el-Cham, Paris ne peut même plus compter sur son allié israélien pour retrouver l’aura d’antan.

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Les cas Macron, Abbas, Haniyeh, Nasrallah et même Erdogan donnent finalement raison à Jared : durant plus de soixante dix ans, tout ce beau monde, qui n’a pas arrêté de s’entretuer, s’est mis d’accord pour ne pas trouver de solution aux terres palestiniennes. Pendant ce temps là, Israël a réussi brillamment à mettre le monde entier devant le fait accompli. Les stratèges israéliens ont également réussi le plus dur : faire de leur pays le seul du Moyen-Orient qui discute, négocie, commerce avec l’ensemble de ses voisins.

Prospérité vs violence

En faisant simple, ce que nous offre réellement Trump et Kushner : l’opportunité de choisir la prospérité économique et d’éviter un chaos régional.

Après les cycles révolution et contre-révolution, qui ont d’une part éliminé -ou presque- de la scène politique et médiatique tout dirigeant arabe muni de la carte «Al Qods, ligne rouge», brisé l’influence des courants politiques baasiste et islamiste, l’ensemble des pays arabes y compris l’arabe saoudite et les EAU sont frappés par une crise économique et sociale sans précédant. Les chantiers sont pharaoniques : emploi des jeunes, transformation des mentalités, lutte anti-terroriste…etc.

De plus, l’une des conséquences de ce remodelage géopolitique et cette tension sociale et l’incapacité de la rue arabe à se mobiliser désormais pour les causes extranationales et extratéritoriales. De Téhéran à Rabat, les jeunes se mobilisent pour la dignité, le travail et les libertés individuelles et laissent les débats géopolitiques aux médias et aux experts.

Il s’agit là d’une situation sociale, politique et économique inédite que traverse notre région depuis la chute de l’empire Ottoman. Les Etats-unis et Israël l’ont bien compris et ont jugé opportun de profiter de cette fenêtre de tir à travers laquelle ils espèrent gagner du temps et de l’effort pour assoir leur influence pour au moins un siècle supplémentaire sur la région.

Face à ce «deal de paix», le scénario «violence» est toujours d’actualité. Le Deal du Siècle sonne, en effet, comme un ultimatum ou l’offre de dernière chance aux régimes arabes. Le fait de ne pas inviter la partie palestinienne et d’annoncer l’attention d’annexer incessamment la vallée du Jourdain est un signal à cette appétence au recours à la violence. D’ailleurs les deux dirigeants jouent le tout pour le tout pour garder le pouvoir et distancer leurs adversaires politiques.

L’ensemble des parties prenantes sont sous pression

D’aucune des parties prenantes du dossier du Moyen-Orient n’a le luxe de jouir d’une quelconque détente, y compris les porteurs du deal du siècle : Trump, Netanyahu et Kushner. Ils sont tous sous la menace de la justice de leurs pays respectifs. Leurs adversaires qui tablent sur leur crash politique sont eux mêmes désorganisés et dépassés par les évènements et constatent impuissamment leur perte d’influence sur les capitales arabes.

Les pays arabes de leur côté, encore sonnés par le printemps arabe et les guerres qui ne s’arrêtent pas sur leurs terres, luttent pour leur stabilité et pour une sortie de la dépression économique. Plusieurs d’entre eux, tentent de se libérer de l’influence américaine en se rapprochant de la Russie ou d la Chine.

En ce qui concerne la Turquie et l’Iran, la carte palestinienne a toujours été la seule carte qui unissait chiites et sunnites. Du marketing politique qui garantissait l’influence au-delà de leurs territoires respectifs.

Aujourd’hui, les deux pays sus-cités sont sur plusieurs fronts avec ou contre le couple Trump/Netanyahu. Et depuis l’avènement de la nouvelle année la pression sur Istanbul et Téhéran est à son comble.

Enfin l’autorité palestinienne qui se nourrit du statu quo, acceptant de jouer le de gendarme contre l’épouvantail de la résistance palestinienne, est depuis plusieurs années une carte brulée. Le Deal du Siècle sonne le glas pour ses privilèges et même sa survie.

Pourtant la seule partie qui n’a plus rien à perdre, la partie qui a payé le prix cher, très cher de ce grand mensonge qui dure depuis 103 ans depuis la déclaration de Balfour, est le peuple palestinien. Un peuple privé de son histoire face à des israéliens qui ont bâti leur légitimité sur l’Histoire. Un peuple palestinien qui serait amené à se déplacer dans des tunnels pour ne pas fouler la terre du peuple élu. Un peuple que le conquérant américain veut rajouter à la longue liste des indigènes écrasés puis confinés par les empires victorieux.

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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