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Tunisie: commémoration maussade de la révolution du Jasmin

L'immolation d'un jeune homme il y a dix ans à Sidi Bouzid a mis la Tunisie sur la voie de la démocratie, mais dans cette ville marginalisée devenue berceau de la révolution, les habitants n'ont pas le coeur à la fête.

Avec AFP

Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant excédé par le harcèlement policier, s'est immolé par le feu sur la rue principale de cette ville du centre de la Tunisie, déclenchant un mouvement de contestation sans précédent.

Le soulèvement fit quelque 300 morts dans le pays, mais les manifestations finirent par chasser du pouvoir le président Zine el Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011, et par s'étendre à d'autres pays de la région, faisant tomber plusieurs autocrates.

Si la démocratisation de la Tunisie est largement saluée, l'ambiance festive des premiers temps a disparu.

A Sidi Bouzid, le portrait géant de Bouazizi et la sculpture de sa cariole dans le centre-ville n'incarnent plus l'espoir d'une amélioration de la situation sociale.

Le 17 décembre est devenu une occasion de protester contre un pouvoir incapable de réaliser certains objectifs du soulèvement: travail et dignité. Des ministres ont régulièrement été accueillis par des jets de pierres.

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L'ambiance n'est pas à la célébration, le pays va mal

"Nous vous avons préparé la route vers la liberté, mais vous avez pris une déviation", peut-on lire sur de grandes affiches placardées en centre-ville.

Aucune visite officielle n'est programmée ce jeudi. Même le président Kais Saied, un universitaire revendiquant les idéaux de la révolution, largement élu en octobre 2019 sur fond de rejet des dirigeants au pouvoir depuis 2011, a annoncé qu'il ne viendrait pas, officiellement en raison «d'engagements urgents».

«L'ambiance n'est pas à la célébration (...) parce qu'il y a ce constat que le pays va mal», explique à l'AFP le politologue Hamza Meddeb.

Certes «le pays a construit péniblement une démocratie, certes il a avancé dans les libertés politiques, mais dix ans après la révolution du 17 décembre/14 janvier, il y a un réel constat d'échec», poursuit-il.

La classe politique, plus fragmentée que jamais depuis les législatives de 2019, se déchire sans parvenir à passer à l'action alors que l'urgence sociale s'accentue, avec les retombées dramatiques de la pandémie de nouveau coronavirus.

Le chômage dépasse les 15%, et touche largement les jeunes et les régions marginalisées. Les salaires, bas, sont grignotés par l'inflation, et l'instabilité politique annihile l'espoir de voir se concrétiser des réformes de fond.

Des jeunes sont partis par milliers combattre auprès de groupes jihadistes en Syrie, et les Tunisiens représentent actuellement la moitié des migrants arrivant illégalement en Italie: les traversées clandestines de la Méditerranée sont reparties à la hausse depuis 2017, face au manque de perspectives.

A Sidi Bouzid, une scène a été montée pour un concert de rap, avec comme thème «10 ans, l'attente est longue».

«Cet événement, qui montre l'importance de la révolution pour nous, ne cache pas la colère (...) face à la classe politique», a déclaré à l'AFP Youssef Jilali, porte-parole des organisateurs.

Les tunisiens veulent des actions concrètes, là, maintenant et tout de suite!

Selon M. Meddeb, «les Tunisiens sont vraiment en colère, et ce n'est pas le bon moment pour les responsables politiques d'aller sur terrain».

La semaine passée, le Premier ministre Hichem Mechichi été accueilli aux cris de «dégage» par des habitants de Jendouba, ville du nord-ouest du pays où un jeune médecin est décédé à cause de la défaillance d'un ascenseur dans l'hôpital délabré où il travaillait.

Des grèves, blocages de routes et manifestations se sont récemment multipliés pour réclamer des emplois, des investissements et des services publics de base.

«Nous avons arrêté d'attendre quoique ce soit de la classe politique!», lance Jamel Bouzidi, un habitant de Sidi Bouzid quadragénaire. «Nous sommes fatigués d'attendre».

Le principal parti --d'inspiration islamiste--, le mouvement Ennahdha, peine à constituer une majorité stable au sein d'une Assemblée où siègent une multitude de formations. Les débats dégénèrent régulièrement, et des coups ont été échangés la semaine passée.

Même M. Saied, qui a été élu "avec beaucoup d'espoir, est en train de décevoir une partie de l'électorat", souligne M. Meddeb.

«Les gens n'ont plus la patience d'entendre des discours, ils veulent des actions concrètes, là, maintenant et tout de suite!».

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