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Italie : La Ligue et le Mouvement 5 Étoiles au gouvernement du « laboratoire politique de l’Europe »

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Le président de la république italienne, Sergio Mattarella, a reçu ce mercredi au Palazzio Quirinale à Rome, Giuseppe Conte, et l’a désigné président du Conseil. Le président de la république a fait durer le suspense depuis le lundi en raison de doutes sur l’autonomie du nouveau chef de gouvernement vis-à-vis du Mouvement Cinq étoiles et de la Ligue qui forment cette coalition. Mais l’esprit de la démocratie a pris le dessus. Sergio Mattarella n’a eu d’autre choix que de se soumettre à la volonté populaire et à celle des urnes. La journaliste italienne basée en France, Arianna Poletti, spécialiste des questions de la zone MENA, a écrit pour LE1.ma sa vision sur la genèse de ce nouvel exécutif accusé de tous les maux bien avant de voir le jour.

Après quatre-vingt-dix jours d’impasse politique, le Mouvement 5 Étoiles et la Ligue sont parvenus à un accord. Le nouveau gouvernement italien se met donc sur les rails.

« Vous avez le droit de nous critiquer, mais au moins laissez-nous commencer. » L’Europe tremble. La réponse de Luigi di Maio aux chefs de file européens ne se fait pas attendre. Le président de la république italienne Sergio Mattarella a reçu lundi après-midi les leaders du Mouvement 5 Étoiles et de la Ligue. Le jeune Di Maio, bientôt 33 ans dont cinq d’expérience politique à cinq étoiles, sort de la salle avec un large sourire. Il n’y aura aucun gouvernement « neutre » ou « de transition » comme annoncé par Mattarella en cas d’impossibilité de former une majorité. Ça y est. Après quatre-vingt-dix jours d’impasse, la solution semble apparaître. La scène politique italienne en ressort complètement bouleversée.

« Vous avez le droit de nous critiquer, mais au moins laissez-nous commencer. » L’Europe tremble.

Il était clair dès les premiers dépouillements : le Mouvement 5 Étoiles de Luigi Di Maio et la Ligue de Matteo Salvini sont les grands vainqueurs des élections. La Ligue de Salvini ressemble au Front National français à bien des égards : elle combine un discours raciste anti-migrants à un discours de soutien social aux agriculteurs et aux petits entrepreneurs italiens. Le Mouvement 5 Étoiles, qui fête ses cinq ans cette année, se définit comme « post-idéologique ». Ni de droite, ni de gauche, il se veut pragmatique. Créé par le comédien Beppe Grillo, la popularité du Mouvement se fonde sur sa volonté de moralisation de la vie publique, de lutte à la corruption, de soutien aux victimes du descendeur social.

La Ligue de Salvini ressemble au Front National français à bien des égards

Ces deux mouvements volent la vedette au centre droit et au centre gauche : Silvio Berlusconi et Matteo Renzi, étoiles filantes éclipsées par deux jeunes lasers charismatiques, appartiennent désormais au passé. Une nouvelle phase politique, la troisième république, commence dans la Péninsule dans un climat d’incertitude. À partir du nom du nouveau premier ministre, Giuseppe Conte, membre de l’équipe du Mouvement 5 Étoiles, le futur chef d’État reste un inconnu pour la plupart des Italiens.

Conte n’est pas un homme politique mais un maître de conférence en droit. Son CV en ligne compterait douze pages. Ce juriste de 54 ans s’est formé dans les universités les plus prestigieuses du monde, sauf que New York University, où il est cité dans certains documents, a annoncé ce matin qu’il n’y a jamais été inscrit comme étudiant. Giuseppe Conte n’a pas commenté l’information. Il n’y a que ses élèves qui en ont déjà entendu parler. Entre-temps, les Italiens attendent le dernier mot de Sergio Mattarella, qui devrait bientôt approuver la candidature du novice proposé par Di Maio et Salvini, les vrais patrons du gouvernement.

Les nouveautés ne s’arrêtent pas là. Cette alliance entre rivaux est détaillée dans un « contrat de gouvernement » signé par Salvini et Di Maio, publié sur internet et accessible à tout citoyen. Pour la première fois dans une période de personnalisation politique, les programmes priment sur les noms. Après une réunion plus longue que prévue, deux comités ont réussi à dresser une liste des points à réaliser. Pour la première fois, on ne parle même pas de « priorités », l’un des refrains de Matteo Renzi. Énumérés par ordre alphabétique, les nombreux objectifs du gouvernement Mouvement 5 Étoiles-Ligue deviennent une to-do list ambitieuse.

Le document commence par ce qui semble être un message d’assurance : « Nous voulons renforcer la confiance dans notre démocratie et dans les instituions de l’État », pour après s’étendre sur une liste de 29 points à partir de “acqua pubblica” (eau publique) jusqu’à “università” (université). La Ligue et le Mouvement 5 Étoiles promettent de « tourner le dos aux diktats de Bruxelles » et à l’austérité, tout en restant dans l’Ue. Le document prévoit la lutte contre la corruption, la délinquance et l’immigration, sur laquelle Matteo Salvini prétend avoir « carte blanche ».

Auparavant aux extrêmes, aujourd’hui au centre, ces deux mouvements ne peuvent plus être réduits à la vague définition de partis anti-système.

Ils prônent également une réduction des prélèvements fiscaux, une augmentation des dépenses publiques et l’abolition d’une reforme impopulaire des retraites. Sans oublier la mesure phare du M5S : l’introduction du « revenu citoyen ». Créé ad hoc, le « Comité de conciliation » contrôlera l’avancée du programme commun pour l’actualiser, si nécessaire. Une procédure complètement nouvelle. « Ce contrat de gouvernent est un compromis entre les deux formations, il est un patchwork des deux programmes. S’il y a un fil rouge c’est celui de l’affirmation de la souveraineté nationale. On peut lire entre les lignes : l’Italie est de retour », commente Marc Lazar, historien spécialiste de la vie politique italienne.

Ce gouvernement est une nouvelle expérimentation faite par l’Italie, comme l’a été entre autres le Berlusconisme.

Auparavant aux extrêmes, aujourd’hui au centre, ces deux mouvements ne peuvent plus être réduits à la vague définition de partis anti-système. D’abord parce qu’ils en font intégralement partie : « La Ligue existe depuis vingt ans. Pour ce qui est du Mouvement 5 Étoiles, Luigi Di Maio vise à le rendre crédible et respectueux des institutions. Le discours a changé », souligne encore Marc Lazar. Selon l’auteur de L’Italie sur le fil du rasoir : Changements et continuités de l’Italie contemporaine « il y a de nombreux points de divergence entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles. Mais les deux ont désormais un objectif : s’imposer comme les deux formations majeures pour l’avenir de l’Italie. Ils prônent la naissance d’un nouveau bipartisme. » Marc Lazar considère l’Italie comme « le laboratoire politique d’Europe ». Pour le sociologue « ce gouvernement est une nouvelle expérimentation faite par l’Italie, comme l’a été entre autres le Berlusconisme. » Il ne reste qu’à observer.

Arianna Poletti est journaliste italienne freelance. Passionnée par le Proche-Orient, elle a vécu à Jérusalem et s’occupe du monde arabe et de son rapport avec l’Europe.
Arianna Poletti est diplômée à Sciences Po Paris et de ESJ Lille

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