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Elections cruciales en Tunisie, ou la voie passante pour un pouvoir conservateur absolu

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Plus de 5 millions de tunisiennes et tunisiens sont appelés aux urnes le dimanche 6 mai pour les premières élections municipales depuis l’éviction en janvier 2011 du général-président Zine El Abidine Ben Ali après un pouvoir absolu et despotique qui a duré 23 ans. Tout le monde s’attend à un verdict des urnes potentiellement favorable au parti islamiste d’Ennahdha sur la base d’une plateforme électorale civilement religieuse.

340 circonscriptions municipales et 24 conseils régionaux sont en jeu mettant en concurrence 2074 listes dont 1055 partisanes, 860 dites indépendantes et 159 listes de coalition. La proportion féminine est de l’ordre de 30%. L’enjeu : élire 350 maires et plus de 7200 conseillers municipaux.

Ces élections se dérouleront sous une très haute surveillance policière et militaire pour en assurer la bonne organisation et en raison des menaces terroristes qui pèsent sur le pays depuis l’avènement du « printemps arabe ».

La campagne électorale s’est achevée vendredi à minuit. Une campagne qui a été marquée par pas moins de 2000 infractions et des agressions physiques et autres dépassements.

Toutefois, la grande inconnue reste le taux de participation des électeurs. Un avant goût a été donné par les 36 495 militaires et sécuritaires inscrits sur les listes électorales. Ils ont voté pour la première fois dans l’histoire de la Tunisie indépendante le 29 avril dernier. Le taux de participation n’a pas dépassé les 12%.

Le taux d’inflation a atteint pour le seul mois d’avril dernier 7,7%

Et le véritable test grandeur nature aura lieu dimanche mais d’ores et déjà, avec la probable désaffection du corps électoral. De récents sondages ont démontré un grand pessimisme chez une majorité du peuple tunisien. Ils sont beaucoup plus préoccupés par leur situation économique et sociale et déçus par une classe politique avide de pouvoir et de privilèges. Pour la majorité, les choses se sont envenimées depuis 7 ans. Après le clan mafieux des Ben Ali & Co, une nouvelle race d’opportunistes a pris la relève. Le chômage est à son comble. L’informel et la contrebande représentent 65% du produit intérieur brut (PIB) du pays selon les instances internationales. Le taux d’inflation a atteint pour le seul mois d’avril dernier 7,7% selon les derniers chiffres révélés par l’Institut national de la statistique (INS).

On compte plus de 210 partis politiques et des dizaines de milliers d’associations

Des milliers d’entreprises ont soit baissé le rideau ou quitté carrément le pays. Le pays continue à être gangréné par la corruption. L’opération « mains propres » lancée en mai 2017 à grand coup de communication avec l’arrestation de quelques hommes d’affaires ou fonctionnaires, semble avoir tourné court. Est-ce par manque de détergents ou de volonté politique ou de dos d’âne et de pierres d’achoppement placés sur le chemin du chef du gouvernement ?

A cet égard, l’avocat et président de l’Instance nationale de la lutte contre la corruption, Chawki Tabib, n’a pas hésité à parler d’un “Etat mafieux” avec le même système que sous Ben Ali.

Sur ce point, il y a lieu de relever la déclaration de Sofiene Selliti, porte-parole du pôle judiciaire financier, faite le 2 mai courant lors de son passage à l’émission radiophonique « Midi Show » de Mosaïque FM que l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a refusé la levée de l’immunité parlementaire d’un nombre de députés soupçonnés de corruption.

Déjà, le 25 janvier de cette année et dans le même ordre d’idées, la députée Zohra Driss, du parti Nidaa Tounes, fondé par Béji Caïd Essebssi , actuel président de la république, n’a pas hésité à tirer la sonnette d’alarme en soulignant que « certains ayant de lourds dossiers ont rejoint le parti pour se protéger ». La même chose s’applique à d’autres bonnets qui ont choisi le parti islamiste d’Ennahdha qui lave aussi blanc et le siège de son parti dans le quartier Montplaisir de Tunis, est devenu un lieu de « pèlerinage » pour des ripoux à la recherche d’une « virginité »!

Ennahdha et Nidaa Touness, les 2 partis-Etat

En fait, Ennahdha et Nidaa Touness ont remplacé l’ancien parti-Etat, le RCD de Ben Ali. Aujourd’hui, la Tunisie est gouvernée par une diarchie, en la personne de Ghannouchi et Essebssi suite à un « oldmen agreement » entre les deux hommes pour gouverner ensemble sur un échiquier politique et partisan balkanisé. On compte plus de 210 partis politiques et des dizaines de milliers d’associations. Si la société civile est très dynamique cela n’a pas empêché des associations de « malfaiteurs » de s’engouffrer dans le tissu social servant de relais écran pour Ennahdha.

Aujourd’hui, la Tunisie est gouvernée par une diarchie, en la personne de Ghannouchi et Essebssi suite à un « oldmen agreement »

Le premier gouvernement de la Troïka, (une coalition gouvernementale de trois partis, le Congrès pour la démocratie de Moncef Marzouki, et Ettakattoul de Mustapha Ben Jaafar, et Ennahdha, grand vainqueur des législatives de 2011) a permis à la formation de Ghannouchi, enivré par son succès électoral, à lever le voile sur son vrai visage pour sa main mise sur le pouvoir. S’octroyant les ministères régaliens, Ennahda a considéré la Tunisie comme un « butin de guerre ». L’arrogance de leurs discours et de leurs pratiques sont encore gravés dans les mémoires.

La fonction publique a été inondée par des recrutements massifs dont 93% sont des militants ou sympathisants d’Ennahdha pour mieux infiltrer tous les rouages de l’Etat.

Un véritable travail de sape des institutions pour affaiblir l’Etat a commencé. En 2012, le souci de Ghannouchi et ses « frères » était l’armée et la police qu’il fallait d’une manière ou d’une autre, décapiter afin de placer leurs hommes. Il l’a déclaré dans une vidéo qui a fuité lors d’une rencontre avec des salafistes invoquant que ces deux institutions n’étaient pas « sûres ».

Et c’est sous Ennhdha qu’il y a eu la déferlante des prédicateurs wahhabites dont Wagdy Ghoneim reçus avec tous les honneurs. Et lorsque les médias avaient parlé de groupes terroristes s’entraînant au Mont Chambi, le ministre de l’intérieur nahdhaoui, Ali Larayedh, et son porte-parole Khaled Tarrouche avaient parlé “de jeunes qui pratiquent du sport !”.

La suite tout le monde la connaît : assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi sans oublier les centaines d’agressions dont ont fait l’objet tous ceux qui ne sont pas d’avis avec la secte d’Ennahdha. Ses dirigeants qui ont connu les affres de la répression comme ceux de la gauche, ont vite été touchés par le syndrome de Stockholm en épousant les pratiques de leurs bourreaux d’hier. Ainsi, les habitants de la ville de Siliana qui réclamaient leur droit à la dignité ont été sauvagement réprimés à la chevrotine en décembre 2012.

C’est sous Ennahdha et avec l’encouragement de ses dirigeants et autres députés tel que Habib Ellouze qui avait qualifié l’excision des filles de simple opération esthétique, que des milliers de jeunes tunisiens et des centaines de jeunes tunisiennes, ont été encouragés à rejoindre les groupes terroristes en Syrie et en Irak pour le jihad ou en Libye pour revenir plus tard au pays bardés de diplômes “Dr. ès terrorisme” et prêter le cas échéant main forte au parti, surtout qu’Ennahdha tient à s’agripper au pouvoir pour un long bail et ne reculera devant rien !

Le Califat, la force qui arrive !

Un exemple en dit long : Hizb ut-Tahrir, une formation intégriste légalisée par Ennahdha. Justifiant l’acte, Ghannouchi a déclaré en 2012 au quotidien saoudien, Asharq Al-Awsat, que ce « parti » incarne sa jeunesse. Un «parti» qui ne reconnaît ni l’autorité de l’Etat  , encore moins la démocratie et les libertés. Interrogé à ce sujet, Essebsi avait déclaré qu’il fallait trouver une solution à ce problème. Mais rien n’a été fait. Bien au contraire, ce «parti» continue à défier tout le monde.

Ainsi, il a tenu son congrès annuel le 28 avril dernier sous le thème « Le Califat, la force qui arrive » !

Béji Caïd Essebssi avait promis également de faire toute la lumière sur les assassinats politiques mais comme dit l’adage « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».

Lorsqu’il avait fondé Nidaa Touness, une bonne partie de la population avait adhéré estimant qu’il constituera un rempart contre la déferlante islamiste. Malheureusement, ils ont vite déchanté. Le Nidaa a connu des dissensions internes et des départs massifs de ses cadres fondateurs surtout lorsque Essebsi a confié le parti à son fils Hafedh. Du coup, on retrouve dans ses structures dirigeantes, bon nombre de cadres, qui ont servi Ben Ali et dont certains traînent des dossiers relevant de la justice et des casseroles au grand bonheur d’Ennahdha.  Ceux et celles qui ont fait confiance à Nidaa Touness ne comprennent pas le mariage contre-nature Ennahdha –Nidaa Touness.

Peut être qu’en politicien rusé, Essebssi cherche à désamorcer la bombe latente de Ghannouchi et ses partisans pour une main mise totale sur le pouvoir. Ghannouchi avait déjà déclaré au lendemain du premier gouvernement transitoire d’Essebssi de 2011, qu’Ennahdha est capable de renverser 6 gouvernements Essebssi !

Le même discours est maintenu aujourd’hui mais enveloppé en faisant brandir le risque de guerre civile ou d’un éventuel coup d’Etat qu’organiserait “un général fou” pour reprendre le qualificatif du nouveau Bey de Tunis Ghannouchi.

Et comme le vent a tourné sur l’échiquier régional et international et de peur de se voir blacklisté par l’administration Trump comme groupe terroriste, Ghannouchi et ses fidèles ont mis du “vin dans leur eau” en changeant de discours beaucoup plus destiné à l’occident pour mieux le séduire. Conseillé notamment par une boîte de communication américaine, Ghannouchi a courtisé en 2011 le lobby juif américain AIPAC où il a donné une conférence à l’invitation de Martin Indyk sans oublier les relations privilégiées avec John McCain ou Bernard Henry-Levy.

Ennhdha s’est opposé au projet de loi décriminalisant toute normalisation avec Israël et présente même un candidat de confession juive Simon Slama pour ces élections municipales sur la liste de Monastir, ville natale d’Habib Bourguiba. Il a même salué et qualifié d’événement majeur les dernières frappes occidentales contre la Syrie.

Et pour mieux se préparer aux élections législatives et présidentielles de 2019, Ghannouchi n’a pas arrêté de participer au coûteux forum de Davos et les multiples visites à travers le monde dignes d’un Chef d’Etat.

Il a appris ces derniers temps à porter des costumes cravates. Il a changé de look en procédant à la « chirurgie esthétique » et à arranger sa dentition ( histoire de manger à tous les râteliers politiques) et à se la jouer « cool ». Mais le fond et la finalité ne changeront pas.

Le désenchantement est très profond aussi bien chez la jeunesse que dans les régions de la Tunisie intérieure d’où est parti le mouvement social de contestation ayant conduit à l’éviction de Ben Ali. Ils estiment à juste titre que le mouvement qui a balayé la dictature, a été détourné, récupéré et vidé de son sens et que leurs régions et ce depuis l’aube de l’indépendance à nos jours, sont maintenues dans un état de « sous – développement durable ».

Ces élections sont par conséquent cruciales pour la Tunisie et son avenir et détermineront à moyen et long terme le « projet sociétal » que mijote le parti islamiste tunisien. La déclaration de Abdelfattah Mourou l’illustre parfaitement. Ennahdha, filiale de la confrérie des « frères musulmans» dispose d’un bureau à Tunis.

Et pour cause, le mouvement de Rached Ghannouchi table sur ce scrutin municipal pour traduire dans les faits son programme d’islamisation de la société et baliser le terrain pour un pouvoir à la Erdogan, après l’adoption à la dernière minute d’un code des collectivités locales.

L’abstention des électeurs fera le jeu de ce parti qui a une base électorale disciplinée et une armée de cyber activistes qui passent le plus clair de leur temps à diaboliser les forces démocratiques et de gauche. Ils font tout pour abattre la centrale syndicale l’UGTT mais n’ont pas réussi jusqu’à présent à l’apprivoiser.

Pour parvenir à ses fins, Ghannouchi parie sur le temps et la politique de l’artichaut : ça se mange feuille par feuille et une « démoctature » est en cours doucement mais sûrement !

Noureddine Boughanmi, journaliste polyglotte avec plus de trois décennies d'expérience dans différents supports marocains et étrangers. Passionné de littérature, d'actualité et d'art, il a interviewé, en français, en anglais et en arabe des dizaines d'acteurs politiques de renommée mondiale. Durant les années 1980 et 1990 il a roulé sa bosse entre la Tunisie, la France, l'Indonésie, l'Afrique du Sud avant de s'installer définitivement au Maroc

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