Ahmed Toufiq, l’intellectuel incompris

Entre incompréhensions et malentendus, Ahmed Toufiq, ministre des Habous et des Affaires Islamiques, s'est retrouvé au cœur d'une polémique inattendue. La révélation d’une discussion confidentielle avec le ministre de l'intérieur français, en marge de la visite d'Etat d'Emmanuel Macron, sur la laïcité a suscité une vive émotion, récupérée par certains pour alimenter un faux débat sur la sécularité des Marocains. Dans un contexte où le champ religieux relève des prérogatives inhérentes à l’institution d’Imarat Al Mouminine exercées par le Roi, cette controverse souligne la complexité d’un sujet mêlant souveraineté, spiritualité et diplomatie. Mais au-delà de la polémique, se dessine le portrait d’un intellectuel, tenté de réconcilier des mondes trop souvent opposés.

Lundi dernier, Ahmed Toufiq, ministre des Habous et des Affaires Islamiques, a pris la parole devant une Chambre des députés pour répondre à une question sur l’encadrement des imams et acteurs religieux marocains en Europe. Ce qui aurait pu être une simple intervention ministérielle a déclenché un véritable émoi au sein de l’opinion publique, révélant les malentendus multiples qui entourent ce personnage érudit. L’origine de cette agitation ? La révélation d’une discussion, jusque-là confidentielle, entre Ahmed Toufiq et Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur français, lors de la récente visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc.

Un débat faussé, récupéré, mais révélateur

Le PJD, fidèle à son ADN, s’est emparé de l’affaire pour dénoncer une supposée «occidentalisation» des principes religieux marocains, n’hésitant pas à affirmer que la position du ministre tendait à dépeindre les Marocains comme des laïcs, qui dans l'imaginaire collectif est équivalent au rejet de la religion. Une récupération naturelle, certes, mais qui a détourné le vrai débat : pourquoi un ministre des Habous évoquerait-il la loi de 1905, et surtout, dans quel contexte ?

L’incompréhension de l’opinion publique ne s’arrête pas là. Beaucoup ont été troublés par l’idée qu’un ministre des Affaires Islamiques marocain puisse s’adresser à son homologue chargé de l’Intérieur en France. Cela masque une réalité essentielle : la question de la religion au sein de la diaspora marocaine en Europe est tout sauf anodine. En France, elle s’inscrit dans un cadre marqué par des débats politiques houleux, des surenchères partisanes, et des enjeux de sécurité nationale. C’est dans ce contexte délicat que Toufiq, fidèle à son style érudit, a fait référence à la loi française de 1905 sans fournir d’explications adaptées à ses interlocuteurs.

Une double incompréhension : culturelle et intellectuelle

Le problème est double. D’une part, le ministre français, prisonnier d’une lecture purement hexagonale de la laïcité, n’a pu saisir la profondeur de la réflexion de Toufiq. D’autre part, les députés marocains, souvent peu cultivés sur ces questions, n’ont pas compris la portée ni la pertinence de cette référence historique. Dans cet imbroglio, ce sont les propos du ministre qui ont été mal interprétés, révélant un profond décalage entre l’érudition de Toufiq et la réalité des discussions politiques dans les deux pays.

Laïcité ou sécularité : un malentendu persistant

La laïcité, telle qu’elle est définie en France, diffère de celle définie sous d'autres cieux occidentaux et s'écarte fondamentalement de la sécularité marocaine. Là où la République française prône une séparation stricte entre l’État et les institutions religieuses, le Maroc s’appuie sur un modèle où l’État ne rejette pas la religion mais la canalise pour préserver l’équilibre et la diversité.

Toufiq, en évoquant la loi de 1905, ne cherchait pas à importer un modèle étranger, mais bien à mettre en lumière une similitude conceptuelle : le principe coranique Lakom dinoukoum wa liya dini (à vous votre religion, à moi la mienne) peut être vu comme une forme d’ouverture spirituelle, comparable à une certaine vision de la laïcité, mais adaptée à la religion islamique et au cultuel marocain.

Ahmed Toufiq, un intellectuel face à la médiocratie

La véritable tragédie de cet épisode réside dans la médiocratie ambiante et l'instrumentalisation de la religion. Ahmed Toufik est un penseur, un poète, un homme de lettres, qui se retrouve enfermé dans une mission complexe : dialoguer avec des interlocuteurs souvent mal préparés, dans une société façonnée par des slogans politiques et des algorithmes des GAFA. Ses références culturelles et historiques, bien que riches, peinent à trouver écho dans un environnement politique dominé par la superficialité.

Toufiq nous invite pourtant à dépasser les caricatures pour réfléchir à une conception plus nuancée de la laïcité. Non pas comme une transposition du modèle français, mais comme une réflexion enracinée dans nos propres valeurs. Cette ambition, bien qu’hérculéenne, est plus nécessaire que jamais dans un monde où les idées profondes peinent à émerger face au tumulte des opinions.

Une invitation à réconcilier plusieurs mondes

En fin de compte, l’épisode illustre un défi plus grand que celui d’un simple ministre : réconcilier plusieurs visions du monde, plusieurs cultures, et plusieurs approches des relations entre religion et politique. Ahmed Toufiq est peut-être incompris, mais son rôle est plus que symbolique. Il incarne une passerelle entre des multiverses, une quête d’équilibre entre tradition et modernité. Un défi immense, mais d’une importance cruciale pour le Maroc et pour tous ceux qui rêvent d’un dialogue apaisé entre les nations et les croyances.

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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