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Sur un coup de tête

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J’ai un peu hésité avant de me décider à commettre ce papier qui sera consacré à la récente défaite de l’équipe marocaine au Mondial du foot. Ce qui m’a poussé à l’écrire ce n’est pas tant la déception de la défaite que celui qui en a été la cause la plus directe, le pauvre malheureux qui nous a rendu encore plus malheureux, j’ai nommé Aziz Bouhaddouz. Je vous avoue qu’avant ce jour-là, je ne connaissais ni ce joueur, ni la plupart des autres joueurs de la sélection nationale.

Il faut vous dire que le foot n’a jamais été ma tasse de thé et je ne l’ai d’ailleurs jamais caché. Pourquoi le cacherais-je ? Ce n’est quand même pas une tare de ne pas aimer un sport même si ce n’est pas tout à fait mon cas, car non seulement j’aime bien le sport en général, mais j’en aime même certains en particulier, comme, par exemple, le hand et le volley. Entre nous, ce sont les seuls sports que j’arrivais un peu à pratiquer au lycée. J’aime bien aussi le tennis que j’ai joué à un moment et que j‘ai dû arrêter sur les ordres de mon cardio et de mon palpitant, mais je continue toujours de suivre avec plaisir. C’est pour vous dire que je ne suis pas du tout un anti-sport, et pas tout à fait un anti-foot non plus.

Si le foot est considéré comme “le sport-roi” partout à travers le monde, il est devenu dans beaucoup de pays, dont le nôtre – pardonnez-moi ce sacrilège sémantique – un “sport-dieu”

D’abord, ce n’est pas que je n’aime pas le foot, mais je n’aime pas ce qu’on en fait. En fait, je n’ai jamais été un joueur de foot, même quand j’ai été petit. Je me souviens qu’alors que mes camarades du quartier formaient des équipes pour s’affronter et taper sur la balle et sur le rideau du garage de notre maison qui servait de bois pour le goal, moi j’avais les yeux rivés sur mes illustrés, et plus tard, sur mes bouquins. Justement, à propos de bouquin, un jour, beaucoup plus tard, quand j’étais étudiant en France, je suis tombé sur un livre sur le sport dont je ne me rappelle plus plus le titre – toute cela est si loin – mais, je m’en souviens bien, il y était clairement question de “peuple” et “d’opium”.

Plus les problèmes socio-économiques sont difficiles à résoudre et plus la tentation d’utiliser le foot comme remède de substitution devient forte

Je crois que si ce livre m’a autant marqué, ce n’est pas par son contenu, mais parce qu’à à cette époque-là, je baignais littéralement dans une atmosphère “révolutionnaire”. Et, c’est peut-être de là que j’ai gardé un regard assez critique non pas vis-à-vis du sport, mais plutôt du foot. Je n’ai pas besoin de vous faire de dessin, mais si le foot est considéré comme “le sport-roi” partout à travers le monde, il est devenu dans beaucoup de pays, dont le nôtre – pardonnez-moi ce sacrilège sémantique – un “sport-dieu” . Peut-être que le mot “opium” est quelque peu excessif, mais nul ne peut nier que les peuples, surtout des pays pauvres, en sont très friands. De là à ce que certains gouvernants soient tentés de l’offrir à leurs peuples au point qu’ils en deviennent accros, c’est un pas qui peut très vite être franchi par des analystes extrémistes que, n’est-ce pas, je ne suis pas.

Cela dit, il ne faut pas non plus nous mentir ni nous voiler la face. Plus les problèmes socio-économiques sont difficiles à résoudre et plus la tentation d’utiliser le foot comme remède de substitution devient forte. Je ne dis pas que cela ne se fait qu’au Maroc, mais je dois dire que cela se fait, aussi, au Maroc. Je peux comprendre que les gouvernants veuillent de temps à autre utiliser le foot pour donner un peu de bonheur au peuple, mais l’utiliser comme substitut à des solutions nécessaires et indispensables, là, je suis moins d’accord. D’abord, si ça peut leur sembler marcher parfois un jour, ça ne marche jamais tous les jours, et, surtout, ça ne marche pas pour toujours. De plus, ça peut être parfois dangereux. Tenez !

Ce ne sont pas des pays qui se battent les uns contre les autres, mais des équipes qui représentent plus ou moins des pays qui jouent les unes contre les autres

Revenons à ce coup de tête malvenu de Aziz Bouhaddouz qui a valu à l’équipe marocaine de perdre son match contre l’Iran stupidement presqu’à la dernière minute. Si j’ai parlé de “l’équipe marocaine” et non du Maroc, c’est parce que, justement, la confusion est souvent de mise et n’a pas lieu de l’être.

Contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire au point que tout le monde a fini par le croire, ce ne sont pas des pays qui se battent les uns contre les autres, mais des équipes qui représentent plus ou moins des pays qui jouent les unes contre les autres. Et c’est là où réside la confusion et donc le danger.

En effet, durant un match, les peuples sont représentés par des foules qu’on appelle joliment des supporters. Or un supporter est un être versatile. Quand son équipe gagne, il est content, et donc, le peuple est content. Mais quand son équipe perd, ce qui arrive aussi, alors, il est mécontent, et le peuple l’est aussi et cherche souvent la cause de la défaite, autrement dit un accusé, un bouc-émissaire sur lequel se défouler.

C’est la loi infernale de la foule. Et dans le cas d’espèce, le malchanceux Aziz Bouhaddouz était tout naturellement l’homme tout désigné à abattre. Pour le supporter, c’est-à-dire pour la foule, c’est-à-dire pour le peuple, c’est comme si à cause de lui le Maroc, donc, tout le peuple Marocain, a raté une occasion de gagner le bonheur absolu et éternel.

Le foot n’est qu’un sport et le sport, quel qu’il soit, ne fera jamais et ne pourra jamais faire le boulot des politiques.

Or, jusqu’à preuve de contraire, ce joueur ou un autre, n’a jamais été élu ni a été désigné par le peuple ou par quiconque pour accomplir une quelconque mission de libération ou de développement. Mais le peuple, faute de mieux, aime bien se projeter sur qui il veut ou sur qui il peut pour réaliser ce qu’il n’est pas capable de réaliser lui-même.

Oui, c’est vrai, le rôle de nos équipes c’est de nous faire rêver, mais ce n’est pas une raison de leur tomber dessus à chaque fois qu’elles ne peuvent pas le faire. C’est principalement aux gouvernants qu’il revient de rendre leurs peuples heureux par de vraies stratégies de développement, dont le sport peut être, pourquoi pas, un des éléments moteurs, et par un vrai partage des richesses. Rêvons un peu.

D’ici là, laissons Aziz Bouhaddouz et ses coéquipiers jouer tranquillement car après tout ce ne sont que des joueurs de foot, et le foot n’est qu’un sport et le sport, quel qu’il soit, ne fera jamais et ne pourra jamais faire le boulot des politiques.

Mohamed Laaroussi est un spécialiste en marketing et stratégie de communication. Publicitaire, chroniqueur, essayiste, écrivain et scénariste, il dispose à son actif de deux essais philosophiques et un roman. Mathématicien à la base, il a longtemps travaillé dans les secteurs du tourisme et des médias. Ancien de Klem et d’Avenir Conseil, Mohamed Laaroussi a également été directeur commercial adjoint de Radio Méditerranée Internationale.

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