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Libye : La fin de l’Accord de Skhirat et le retour de Kadhafi

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Le conseil municipal de Misrata, en Libye, a déclaré trois jours de deuil suite à l’assassinat de son maire, Mohamed Eshtewi, par un commando de miliciens armés. L’édile, qui vient de rentrer d’un voyage en Turquie, a été kidnappé à la sortie de l’aéroport. Un porte-parole de l’hôpital local a rapporté qu’un commando de la milice avait encerclé la voiture du maire en tuant son frère Ahmed, puis traîné Mohamed Eshtewi dans un endroit isolé. Après l’avoir criblé de balles, les ravisseurs ont jeté le corps devant une clinique privée de la ville.

La mort tragique du maire de Misrata relève d’une série d’événements inquiétants qui menacent de plonger la Libye dans une crise encore plus grave que celle par laquelle passe le pays depuis déjà sept ans. La mort de Eshtewi, un proche du «chef du gouvernement de Tripoli» Fayez al-Sarraj, risque de fragiliser davantage tout dialogue avec le général Haftar, et place le pays dans une reconfiguration précaire où il sera difficile de trouver un équilibre de pouvoir entre les acteurs politiques libyens.

L’assassinat a eu lieu à un «tournant» de l’histoire de la Libye. En effet, le 17 décembre coïncidait avec le deuxième anniversaire de la signature de l’Accord Skhirat, le document fondamental sur lequel repose le statu quo politique et sécuritaire libyen. Les représentants du gouvernement de Tripoli et le parlement Tobrouk, réunis à Tunis ces derniers mois en vue de modifier l’Accord, ont omis de décrire de manière claire et uniforme, et en temps opportun, ce que sera la Libye de demain, ainsi que son système politique. Néanmoins, la direction libyenne (Tripoli et Tobrouk) a décidé de confirmer l’organisation des élections présidentielles et législatives pour le mois de mars 2018. Pour sa part, le général Khalifa Haftar a clairement annoncé que l’Accord de Skhirat était caduc et que l’armée qu’il dirige «ne répondra aux ordres d’aucun parti à moins d’être élu par le peuple», invitant le peuple libyen à la mobilisation générale.

Avec un Accord de Skhirat obsolète et sans aucune autre plateforme politique viable, la Libye se trouve plongée dans un gouffre dangereux : chacun des acteurs voudrait se positionner comme l’élément indispensable et salvateur dans le dialogue en vue d’une sortie de crise. L’enjeu, en réalité, ne concerne pas seulement les futures élections mais aussi les accords importants, contacts et contrats avec les acteurs internationaux.

La Russie, par exemple, a manifesté un intérêt certain pour la région. Le Kremlin n’a pas seulement maintenu un dialogue ouvert avec le général Haftar à travers les canaux diplomatiques dédiés et via le président égyptien Al-Sisi, mais aussi organisé la médiation dans les négociations entre le gouvernement Serraj et les milices Touareg pour le contrôle de la frontière sud de la Libye.

Un autre acteur avec lequel on devra compter dans le processus politique libyen, c’est l’Italie de Gentiloni et Minniti. Rome, après le récent voyage du général Haftar pour y rencontrer les hauts responsables italiens, a fait le choix stratégique de maintenir des relations stables et équidistantes avec les différents acteurs libyens, notamment ceux qui sont à même de prendre le pouvoir, et ce en vue de : 1) De protéger les intérêts énergétiques italiens, notamment le complexe d’hydrocarbures de Mellitah ; 2) Gérer les flux migratoires ; 3) Protéger l’engagement militaire italien au Niger. L’opération au Sahel ne peut être séparée d’une collaboration opérationnelle en territoire libyen. C’est dans ce contexte là, qu’un accord final devait être signé avec le maire de la troisième plus grande ville de Libye brutalement assassiné.

Mohamed Eshtewi, avec son aura tribale, constituait un vrai rempart contre toute possibilité de retour des Kadhafi au pouvoir. Son absence aujourd’hui laisse désormais le champ libre à Saif al-Islam de rempiler et, pourquoi pas, à terme, venger son père et éventuellement lui succéder.

En effet, le porte-parole de la famille Kadhafi, Basem al-Hashimi al-Soul, a confirmé dans une déclaration au journal égyptien Egypt Today que Saif al-Islam avait l’intention de se présenter aux élections présidentielles prévues en Libye en 2018, en faisant savoir que «le fils de l’ancien dirigeant libyen bénéficie du soutien des principales tribus de Libye.»

Selon Basem al-Hashimi al-Soul, Saif al-Islam, libéré en juin dernier par une milice de la ville de Zintan, «a l’intention d’imposer plus de sécurité et de stabilité dans le pays, en respectant la géographie libyenne et en coordination avec toutes les factions tribales et politiques du pays ».

Quelle que soit la voie politique destinée à sortir le pays de la crise, le peuple libyen, fatigué et épuisé par près de six années de guerre, ne cherche aujourd’hui que la paix. N’ayant pas répondu favorablement à l’appel de mobilisation du général Haftar, beaucoup de gens en revanche ont accueilli avec enthousiasme l’appel du mouvement «Voix du peuple» les invitant à abandonner les multiples drapeaux qui les ont divisés pour en soulever un seul, un drapeau blanc invoquant la coexistence entre tous en vue de surmonter les démons du passé.

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Le texte original de l’article est paru dans internazionale.il24.it
Traduction : www.le1.ma

Francesco Petronella est écrivain, journaliste et blogueur italien. Il est spécialiste du monde arabe.

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