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Bourita, un ministre sacrément seul

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Nasser Bourita a retardé son déplacement officiel à Washington de quelques semaines pour une seule raison : il devait connaître auparavant l’identité du nouvel ambassadeur américain à Alger et celle du secrétaire adjoint pour les affaires africaines au Département d’Etat. Si la nomination de John Desrocher comme nouveau CMD à Alger, en remplacement de Joan Polaschik, en poste depuis août 2014, n’affectera en rien la position de Rabat quant à ses relations avec Washington, en revanche la désignation de Donald Yamamoto en tant que monsieur Afrique au sein du Département d’Etat, si elle n’inquiète pas, elle impose un certain statu quo que le Maroc voulait voir évoluer. En effet, la diplomatie marocaine tablait sur la nomination de Peter Pham, un «ami» du Maroc, mais le puissant lobbying du sénateur de l’Oklahoma, James Inhofe, proche de l’Algérie, a fait obstruction à cette nomination que le Polisario considérait comme trop favorable au Maroc. D’ailleurs, Donald Yamamoto qui connaît très bien l’Afrique pour avoir dirigé auparavant ce bureau, a été rappelé de sa douce retraite en vue de combler ce vide, pour au moins une année, en attendant que l’administration Trump y voit plus clair dans ses relations avec l’Afrique.

C’est en concomitance avec la nomination de ce polyglotte –Yamamoto parle en effet couramment le chinois, le japonais, l’arabe, le français, en plus de l’anglais-, que Nasser Bourita a effectué sa première visite aux Etats-Unis d’Amérique en tant que ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale du gouvernement El Othmani.

L’administration américaine, qui lui a déroulé le tapis rouge, a d’emblée souligné son attachement au renforcement du partenariat stratégique avec le Maroc et le rôle de celui-ci dans les questions liées au monde arabe, à l’Afrique, à la paix et à la sécurité internationales.

Sur deux jours, Nasser Bourita a ainsi eu des discussions politiques marathons avec le Secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, le sous-secrétaire d’état chargé des affaires du Proche-Orient, David Satterfield, l’envoyé présidentiel adjoint auprès de la coalition internationale de lutte contre Daesh, Terry Wolff, ainsi qu’avec les Présidents des commissions des Affaires étrangères au Sénat et à la Chambre des représentants du Congrès US, respectivement Bob Corker et Ed Royce.

Ces discussions, qui ont porté sur le partenariat stratégique multiforme entre Rabat et Washington, ont confirmé la volonté des deux pays de consolider davantage leurs relations sur les plans politique, économique, de la sécurité et de lutte contre le terrorisme. Les entretiens ont également abordé la situation au Maghreb, notamment le dossier libyen, au Sahel ainsi que la question du Sahara.

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Plus tard, à la Maison-Blanche, Nasser Bourita a été reçu par Jared Kushner, conseiller principal du président Donald Trump et son homme de confiance, en présence de Dina Powell, conseiller adjoint à la sécurité nationale, de Jason Greenblatt, assistant du président Trump et représentant spécial pour les négociations internationales, ainsi que de Cyril Sartor, ancien de la CIA et désormais directeur principal pour l’Afrique au Conseil national de sécurité.

S’il est vrai que, durant sa mission, Nasser Bourita était régulièrement briefé par le service central à Rabat par quelques notes, en plus de l’excellent travail d’intelligence et de prospective des services de la DGED, nous avons à vu à Washington un ministre seul. Pas épaulé. Sans soutien. Aucun des directeurs généraux du ministère des Affaires étrangères n’a accompagné le ministre et, fait curieux, les différentes audiences avec les hautes personnalités américaines se sont déroulées en l’absence de l’ambassadeur du Maroc à Washington.

Et cela se répète assez souvent. Nasser Bourita qui dirigeait sous l’ancien gouvernement, et avec brio, tout le département des Affaires étrangères (alors que Mezouar en récoltait les fruits sans réel valeur ajoutée mis-à-part une capacité importante à la restitution), donne l’impression aujourd’hui de tout centraliser à son niveau et de ne déléguer que très rarement ses prérogatives, alors qu’il dirige un département immense, un mastodonte administratif, tant au niveau central qu’au niveau du dense réseau diplomatique à travers le monde. Ayant gagné la confiance du Roi Mohammed VI et l’appui du conseiller Fouad Ali El Himma, qui ont personnellement piloté les dossiers géopolitiques les plus chauds ces trois dernières années, Bourita hérite d’un département non encore homogène ni au fait de tous les dossiers. Architecte du plus vaste mouvement dans les rangs des ambassadeurs dans l’histoire diplomatique du Royaume, Bourita a besoin d’au moins trois ou quatre secrétaires d’Etat à ses côtés, avec des prérogatives bien précises et des dossiers clairs à gérer. Le monde bouillonne, l’information circule à la vitesse de la lumière, les foyers de tension sont légion, et pour gérer tout cela, un ministre ne peut pas demeurer seul.

Le Maroc n’a pas des voisins faciles que ce soit au nord, à l’est ou au sud. La Mauritanie, par exemple, semble ne pas vouloir valider l’accréditation de Hamid Chabar, nouvel ambassadeur du Maroc à Nouakchott. Avec l’Algérie, c’est la mort clinique. Avec l’Espagne, c’est mi-figue, mi-raisin, surtout après le quiproquo de la nomination de Fadel Benyaïch à Bucarest. Les relations du Maroc avec les pays du CCG sont en dents de scie et la crise du Qatar ne fait que compliquer la donne. L’offensive israélienne en Asie, en Afrique et aujourd’hui en Amérique latine chamboule la donne géopolitique classique. Comment est-ce qu’un ministre, super-puissant soit-il, peut-il gérer tous ces volets s’il n’est pas armé d’une équipe étoffée, compétente et polyvalente à l’instar des David Satterfield, Dina Powell, Jason Greenblatt entre autres Cyril Sartor ou Terry Wolff que le ministre a rencontrés à Washington.

Le gouvernement marocain est tenu de soutenir ce jeune ministre travailleur et militant, une compétence que le pays ne peut pas se permettre de griller pour cause de défaut de ressources, de moyens et d’appui.

Car avec une seule secrétaire d’Etat et des directeurs centraux sans prérogatives, la diplomatie marocaine ne peut aller correctement de l’avant ni être performante. De plus, l’affaire Valyans est venue fragiliser le travail de Nasser Bourita qui se retrouve seul aux manettes face aux différents défis : sa mésaventure à Maputo en est la triste illustration.

Abdellah El Hattach

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